Note sur le projet de création d’un régime d’intéressement à l’Université de Strasbourg – Aspects juridiques

Le CTE du 5 octobre 2017 a eu à se prononcer sur un projet de création d’un régime d’intéressement fondé sur l’article L.954-2 du code de l’éducation (issu de la loi LRU) et sur une circulaire ministérielle du 17 février 2017. Le conseil d’administration aura à se prononcer sur ce projet lors de la séance du 14 novembre 2017.

Un tel dispositif n’est évidemment pas obligatoire pour l’université (L. 954-2 : l’université « peut » créer un dispositif…), mais est justifié par une volonté « d’attirer et de retenir des talents scientifiques de premier plan » (préambule du projet).

Deux régimes d’intéressement sont projetés : un régime d’intéressement au titre de l’axe contrats de recherche et un régime d’intéressement au titre de l’axe attractivité.

1. Régime d’intéressement au titre de l’axe contrats de recherche

1.1 Régime projeté

Le régime d’intéressement au titre d’un contrat de recherche (projet, n° 2.4.1) concerne les lauréats de contrats de recherche ERC ou les bénéficiaires d’un contrat autre que ERC.

Dans ce cadre, à condition que le contrat le permette, le Président de l’Université attribue la prime en fixant lui-même le montant. La durée de la prime correspond à celle du contrat auquel elle est adossée. Le montant est prélevé sur le crédit du contrat, et est plafonné au montant de la rémunération principale annuelle du bénéficiaire.

1.2 Cadre juridique

Le projet de l’Université de Strasbourg ne fait référence qu’à la circulaire ministérielle du 17 février 2017. En réalité, les dispositifs d’intéressement adossés à des contrats de recherche ne sont pas nouveaux : ils relèvent de l’article L.954-2 du code de l’éducation (loi de 2007) et sont prévus par un décret d’application (n° 2010-619) du 7 juin 2010 et une circulaire du 7 juillet 2011.

Il ressort de ces textes que :

  • les personnels de l’université (« agents exerçant des fonctions ayant un lien avec la recherche (…) » : circulaire de 2011) peuvent bénéficier « d’un intéressement à la préparation, à la réalisation et à la gestion d’opérations de recherches, d’études, d’analyses, d’essais, d’expertise effectuées aux termes de contrats et de conventions passés par eux ou en contrepartie de dons et legs qu’ils reçoivent » (Décret, art. 1er).
  • L’intéressement ne peut être versé que pour une « opération achevée » (décret, art. 1er). L’« opération » ne correspond pas au « contrat » dès lors que sont prévues des tranches intermédiaires annuelles, qui correspondront donc à l’« opération ».
  • Il doit être procédé à une « comptabilité d’analyse des coûts pour chaque contrat » (circulaire de 2011), obligation générale qui résulte du décret n° 80-900 du 17 novembre 1980. Sa raison d’être est une meilleure transparence de la procédure. La circulaire de 2011 ajoute que cette transparence doit également être garantie au stade du versement de l’intéressement : « de manière générale, il doit exister une traçabilité entre une opération particulière et une attribution d’intéressement ».
  • Ceci explique que le versement de primes d’intéressement doit donner lieu à un rapport annuel du président de l’université : « Ce rapport précise par opération le montant des sommes distribuées et le nombre des bénéficiaires » (Décret de 2010, art. 4 – nous soulignons).
  • La circulaire précise que, si le conseil d’administration de l’université a une grande liberté dans la fixation des critères, ceux-ci « doivent prendre particulièrement en compte les services rendus par les bénéficiaires et leur participation à l’opération en question. Ils peuvent prendre en considération tout autre aspect des modalités de réalisation des opérations : types d’opération, mode de financement, catégories de contrats, nature des prestations, catégories de bénéficiaires, etc. »

1.3 Conformité du régime projeté aux textes en vigueur

Le projet de régime d’intéressement soumis au conseil d’administration apparaît insuffisant quant aux points suivants :

  • Les critères autorisant l’attribution de la prime ne sont pas précisés, alors que cette attribution doit être conditionnée à des situations concrètes de participation à l’opération à laquelle l’intéressement est adossé.
  • La comptabilité d’analyse des coûts pour chaque contrat est peut-être implicite de la part de l’administration de l’Université (qui en a sans doute une pratique ancienne). L’adoption d’une telle démarche mériterait d’être expressément précisée, étant bien entendu que cette analyse doit se faire pour chaque contrat, dans la logique de l’exigence d’un rapport rendant compte des montants et bénéficiaires pour chaque opération.
  • Aucun rapport au conseil d’administration, détaillant le montant alloué par opération et le nombre de bénéficiaires, ne doit être réalisé : seul est prévu un « bilan (…) en fin d’exercice budgétaire, présentant le cumul des montants exécutés dans le cadre du dispositif global d’intéressement pour l’année concernée ».
    Cela est insuffisant. Il faudrait que soit expressément prévu que le « bilan » soit présenté au conseil d’administration. Surtout, les textes imposent bien un rapport précis pour chaque opération (montant des sommes attribuées, nombre de bénéficiaires), et non un compte rendu global (qui, en l’occurrence, inclut aussi l’intéressement « attractivité », ce qui est autre chose).

Il convient d’ajouter que cette exigence de transparence est d’autant plus importante à l’Université de Strasbourg que la non-conformité de la pratique des primes d’intéressement aux textes en vigueur a déjà été constatée par le passé. Ainsi, la Cour des comptes, dans son rapport de 2015, a relevé que « le président n’a jamais présenté devant le conseil d’administration de l’université de rapport annuel détaillant par opération le montant des sommes distribuées et le nombre des bénéficiaires » (p.64), en pointant fermement le « recours abusif à des contrats d’expertise » qui « introduisent de l’opacité dans la politique de rémunération » puisqu’ils étaient « conclus en dehors de toute consultation et information » des instances de l’université compétentes (pp. 67-68).

2. Régime d’intéressement au titre de l’axe attractivité

2.1 Régime projeté

La mise en œuvre d’une politique d’attractivité à l’Université de Strasbourg a pour objectif de retenir et attirer des « talents scientifiques » (Projet, n° 2.4.1).

Le Président attribue la prime et en fixe le montant après avis rendu par deux personnalités extérieures et un comité ad hoc.

Les critères d’attribution sont les suivants (n° 2.4.2) :

« – activité exceptionnelle de publication dans des supports de visibilité internationale ;
– expérience de recherche à l’étranger ;
– rayonnement international reconnu par les pairs ;
– capacité à obtenir des financements ;
– obtention de distinctions scientifiques de haut niveau ;
– expérience de responsabilités scientifiques ou d’encadrement d’équipe ;
– maturité dans le portage de projets ;
– effet levier et bénéfices pour l’environnement scientifique local ;
– impact sur l’enseignement. »

L’enveloppe annuelle allouée à ce régime d’intéressement est inscrite au budget de l’établissement. L’intéressement est plafonné au tiers de la rémunération principale annuelle du bénéficiaire.

Comme exposé à propos de l’axe contrats de recherche, un « bilan » global doit être réalisé en fin d’exercice budgétaire.

2.2 Cadre juridique

Un tel dispositif d’intéressement n’avait jusqu’à présent pas fait l’objet d’un décret ou d’une circulaire ministérielle, ce qui laissait une grande liberté aux établissements. La circulaire ministérielle du 17 février 2017, constatant que cette liberté a donné lieu à des dérives plusieurs fois critiquées par la Cour des comptes (y compris à propos de l’Université de Strasbourg : (Rapport précité, pp. 64 et s.)) en raison de leur illégalité, a pour objectif de remédier à cette situation.

Cette circulaire prévoit que l’intéressement peut se faire pour d’autres activités qu’une activité de recherche. L’objet du système indemnitaire est de reconnaître l’investissement des personnels dans les domaines suivants :

« – Implication dans une évolution institutionnelle de l’établissement ou dans des projets de service.
– Implication particulière en faveur de l’insertion professionnelle des étudiants.
– Gestion d’événements d’une ampleur particulière (élections, déménagement de service…).
– Développement de partenariats extérieurs. »

Les bénéficiaires peuvent être des enseignants-chercheurs et des BIATSS.

Il est précisé que les régimes indemnitaires « ne peuvent donner lieu à un versement résultant uniquement du simple exercice des missions statutaires de l’agent », et qu’ils « ne doivent en aucun cas se substituer aux régimes indemnitaires prévus réglementairement ».

Cela étant une même personne peut percevoir ces primes en parallèle « dès lors que ces dispositifs ne concernent pas la même activité ». La circulaire ajoute que « les régimes d’intéressement n’ont pas non plus pour objet de contourner le plafonnement des régimes indemnitaires existants ».

Une délibération du conseil d’administration doit définir le régime d’intéressement en précisant :

  • la définition des objectifs associés au régime d’intéressement ;
  • les catégories de personnel concernés ;
  • les critères permettant d’apprécier et de mesurer la réalisation des objectifs fixés et  les contributions collectives et individuelles de façon objective et précise ;
  • les critères et les modalités d’attribution ;
  • l’enveloppe budgétaire globale consacrée au dispositif ;
  • le montant maximal des dépenses par bénéficiaire ;
  • les modalités de versement.

Il est enfin précisé que la mise en œuvre du dispositif « pourra » donner lieu à un rapport annuel du président, présenté au comité technique et au conseil d’administration.

2.3 Conformité du régime projeté aux textes en vigueur

Le problème que pose le projet de régime d’intéressement au titre de l’attractivité tient pour l’essentiel aux critères d’attribution.

1.- La circulaire exige des « critères permettant d’apprécier et de mesurer la réalisation des objectifs fixés et les contributions collectives et individuelles de façon objective et précise ». La généralité des critères proposés par le projet ne permet pas d’estimer qu’ils autorisent une appréciation des contributions de manière objective et précise. Ce constat est d’autant plus problématique que la difficulté a déjà été pointée par la Cour des comptes (Rapport précité), qui avait conclu que « la fiabilité des modalités de calcul de l’intéressement n’est pas assurée ».

2.- La circulaire se réfère à des critères et objectifs totalement différents de ceux du projet : l’intéressement doit concerner des personnels s’étant impliqués dans des projets de service, dans l’insertion professionnelle étudiante, dans la gestion d’événement tels que des élections ou un déménagement de service. En l’occurrence, le projet ne retient que des activités liées à la recherche, avec des objectifs uniquement liés à la recherche : activité exceptionnelle de publication, expérience de recherche à l’étranger, responsabilités scientifiques, etc. Ce constat induit trois séries de conséquences.

D’abord, et de manière générale, l’esprit dans lequel le régime indemnitaire a été pensé paraît dévoyé : l’idée de la circulaire ministérielle est de « récompenser » une implication particulière d’un agent dans des activités hors recherche.

Ensuite, la circulaire prévoit expressément que la prime doit être attribuée à raison d’activités allant au-delà de la mission statutaire de l’agent. Or la plupart des critères retenus paraissent relever de la mission naturelle du chercheur : publication, expérience à l’étranger, obtention de financements, responsabilités scientifiques, portage de projets, etc.

Enfin, il semble bien que le mécanisme proposé conduise à un cumul des mécanismes indemnitaires prohibé pour une même activité. En effet, le porteur d’un contrat de recherche remplira ipso facto la majorité des critères retenus (capacité à obtenir des financements, responsabilité scientifique, portage de projets, expérience à l’étranger). Par ailleurs, les critères relatifs au système indemnitaire projeté correspondent exactement à ceux de la PEDR (Publications / Encadrement doctoral / Rayonnement / Responsabilités scientifiques), faisant ainsi un double emploi que la circulaire ministérielle prohibe.

Cette extrême proximité quant au champ d’application des deux régimes indemnitaires conduit à se demander si le projet proposé n’a pas pour objectif de contourner les règles propres au régime d’intéressement adossé au contrat de recherche. En particulier, cela permettrait de s’affranchir du plafond qui pourrait être imposé par un contrat de recherche donné, en attribuant en parallèle une prime au titre de l’axe attractivité. Par ailleurs, dans une hypothèse où le bénéficiaire n’est pas bénéficiaire d’un contrat de recherche, ou que le contrat de recherche interdit cet intéressement, l’attribution d’une prime reviendrait à substituer un régime à un autre, ce qui est très nettement (« en aucun cas ») interdit par la circulaire ministérielle.

 

Pour ces différentes raisons, le projet ne saurait être adopté en l’état sans encourir le grief de non conformité aux textes de référence (décret et circulaires ministérielles).

 

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