Qu’en est-il de la vie démocratique à l’Université de Strasbourg où se multiplient des instances (collegiums, comités de pilotage) se substituant aux conseils centraux ? Ces derniers, constitués de membres élus représentant la communauté universitaire, sont de plus en plus privés de la capacité de discussion et de délibération.
Les collégiums, machine à classer
Depuis la rentrée 2009, 9 collégiums ont été créés à l’Université de Strasbourg. Ils sont censés « fédérer » les 38 (et aujourd’hui 37, bientôt 36) composantes (UFR, facultés, écoles, instituts) et les 75 équipes de recherche de l’Université autour de disciplines « complémentaires ».
Selon l’article 46 des statuts de l’Université de Strasbourg, le collégium est « une instance de coordination entre la présidence, les composantes et les unités de recherche. À cette fin, il donne ses avis sur les dossiers relatifs à l’offre de formation, aux programmes de recherche et aux moyens associés. Il anime et renforce le lien entre la formation et la recherche, et suscite l’émergence de formations et de thématiques innovantes fondées sur la complémentarité des disciplines ».
Après 7 ans de fonctionnement, quel bilan peut-on tirer des collégiums ?
Selon le rapport d’auto-évaluation de l’Université, « le collégium est définitivement devenu un comité d’experts de la commission de la recherche. Le travail croissant d’évaluation des dossier d’appel à projet (AAP) enlève toute disponibilité pour d’autres initiatives ». En somme, une véritable caricature des travers du financement par « AAP » et de l’évaluation débordante.
Les collégiums ne sont régis que par trois articles très flous dans les statuts de l’Université, ne fixant ni leur mode de composition, ni leurs obligations, à part celle de produire chacun un règlement intérieur. Ces règlements semblent bien difficiles à trouver. Peu étonnant donc que leur fonctionnement soit si peu clairs pour les collègues.
Et pourtant, le rapport d’auto-évaluation précise que « Si la perspective d’une substitution des collégiums aux composantes actuelles suscite le plus souvent de vives réticences, elle pourrait être, à terme, un levier de dynamisme. Les collégiums […] sont encore les meilleurs lieux de discussion d’une telle évolution […]. Cette discussion ne doit pas être évitée ».
Depuis 2009, malgré quelques modifications et un rapport (produit par Christian Kelche et Jean-Marie Husser), les collegium restent des entités obscures, mal définies, avec des fonctionnement très variables selon les domaines et ne produisant généralement aucun PV.
Pilotage des IDEX : un déficit de collégialité
L’université de Strasbourg a obtenu en 2011 un financement dans le cadre des Initiatives d’excellence (IDEX – Programme Investissements d’Avenir) dont le but est de créer en France des ensembles pluridisciplinaires d’enseignement supérieur et de recherche « de rang mondial ». Par cette IdEx, l’Université de Strasbourg s’est fixée l’objectif de renforcer l’excellence en recherche et de développer l’innovation et l’interdisciplinarité dans les formations. Cette stratégie visait le lancement de nombreux projets innovants de haut niveau. Cependant, la définition des programmes de recherche et des appels à projet manquent souvent de transparence. La stratégie est élaborée par un comité de pilotage réuni autour du Président, qui fixe les grands axes autour desquels s’inscrivent les réponses aux appels à projets. Animée par un Délégué général placé auprès du Président, une équipe est dédiée à ce projet global, pour la sollicitation des acteurs et des partenaires, et pour la coordination opérationnelle. Plus qu’un cadre pour des projets scientifique, l’IDEX poursuit des objectifs avant tout politiques qui échappent aux instances élues de l’Université (CAC et CA). L’appel à « l’excellence » organise également la mise en concurrence des établissements, laboratoires et/ou équipes dans une course interne et externe à l’obtention de financements et qui empêchent les E-C de travailler sereinement sur le temps long. Enfin, par ce dispositif, la transmission des savoirs et le développement des connaissances ne valent plus comme des objectifs en soi. La science pour la science et pour l’amélioration du bien commun disparaît progressivement derrière la course à l’innovation.
Un déficit de démocratie universitaire
Le pilotage de l’Université et la mise en œuvre de réformes, parfois profondes, se font sans consultation des personnels concernés, parfois même, sans les en tenir informés. Cela dépasse la non-publication des procès-verbaux de réunions ou la non mention de certains propos dans les documents. Par exemple, un motif futile (ne pas encombrer les messageries) a été présenté au CTE pour justifier de ne pas annoncer la dernière réforme du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), qui touche tous les personnels administratifs. Pourquoi ne pas tenir les collègues informés? Sans doute parce que l’on considère qu’ils sont incapables de travailler ensemble. Ainsi, Michel Deneken, premier vice-président, vice-président Formation initiale et continue, estime notamment « qu’un débat à 37 composantes sera la foire d’empoigne et infructueux. » (cf PV du Congrès 17/03/2014, p. 13).
Cet esprit se retrouve clairement dans le fonctionnement des conseils, et plus particulièrement du CA. L’analyse statistique des PV sur l’année universitaire 2015-2016 montre que près des deux tiers des interventions sont pour la tribune, c’est à dire l’équipe de direction ou des présentations formelles.
Ceci montre que le CA est un organe d’information plus qu’un organe de discussion. D’ailleurs le nombre de points non soumis à discussion y est de plus en plus nombreux par rapport à ceux soumis à discussion.
La démocratie nécessite du temps, et l’information peut se faire au travers des documents diffusés en amont des conseils, conservant leur temps précieux pour le débat contradictoire, seul à même d’assurer une prise de décision collégiale.
On peut, de plus, constater une quasi absence des interventions de la majorité (0,84 intervention par séance par personne), à comparer avec celles de l’opposition (5,13, ce qui reste parfaitement raisonnable). Quand bien même on est élu sur une liste, le rôle d’un administrateur ne se limite pas au vote.
On reproche d’ailleurs bien souvent à ces administrateurs d’être « dans l’opposition systématique », ce qui sous-entend qu’ils feraient blocage et feraient perdre gratuitement du temps. L’analyse statistique des votes au CA sur l’année universitaire 2015-2016 montre tout autre chose.
Deux tiers des votes ont été unanimement « pour », les « contre » et abstentions ne représentent que 10%. On peut également remarquer une réelle diversité des votes en fonction des situations, et même 7,5% de votes partagés, c’est-à-dire pour lesquels les votes des élus d’opposition reflétaient une véritable divergence de la communauté.
En ce qui concerne les élus soutenant l’équipe de direction, l’analyse est plus simple.
Ceci montre tout simplement que la politique de l’Université s’appuie sur le vote unanime et systématique des élus de la majorité, auquel s’ajoute les procurations de la plupart des personnalités extérieures. Le CA ainsi transformé en chambre d’enregistrement devient le lieu d’un débat purement formel n’ayant aucune influence sur la politique décidée en amont par la direction de l’Université en-dehors de toute participation de l’ensemble des élus, notamment ceux qui pourraient avoir un avis divergent.