Bilan Recherche

UN « BON BILAN » ?
VRAIMENT ?

Reconnaissons-le : l’équipe conduite par Alain Beretz et Michel Deneken avait la chance de commencer la partie avec beaucoup d’atouts en main au regard de ceux dont bénéficiait la plupart des autres universités françaises, moins richement dotées.

Il peut en effet sembler que les bonnes fées s’étaient penchées sur le berceau de l’université de Strasbourg :

  • fusion des anciennes universités supposée permettre des économies d’échelles et financement ministériel supplémentaire pour favoriser la convergence ;
  • plan campus doté de 375 millions d’euros donnant 15 millions d’intérêts par an ;
  • soutien des collectivités territoriales de l’Alsace ;
  • et bien sûr une part des « investissements d’avenir » sous la forme de l’Idex, 750 millions dont l’université de Strasbourg toucherait les « intérêts », soit 26 millions d’euros annuel en incluant les budgets des Labex et Equipex gérés par l’Université.

Ses succès étaient fondés avant tout sur la qualité et la renommée de la recherche menée dans les laboratoires de l’Université et de ses partenaires, l’équipe formée autour d’Alain Beretz héritant d’un environnement scientifique exceptionnel, ainsi que sur le travail de l’ensemble de ses acteurs, chacun à sa mesure. Cela s’est encore montré lors du renouvellement de l’Idex : toute l’Université, et par exemple les personnes interviewées par le comité d’évaluation, ont œuvré à donner la meilleure image possible de notre Université et de ses ambitions en matière de recherche, en choisissant pour certains de faire taire leurs divergences et en ayant à cœur d’assurer le succès de cette opération.

Pourtant, force est de constater qu’en matière de recherche, l’université de Strasbourg n’a pas su utiliser pleinement ses nombreux atouts.

Les crédits de recherche comme variable d’ajustement ?

En effet, notre effort de recherche s’est vu amoindrir par des difficultés budgétaires qui n’avaient pas été anticipées. Dans une université « autonome » dotée des responsabilités élargies, chaque déficit constaté dans un secteur a des conséquences sur l’ensemble des autres lignes budgétaires, y compris celles consacrées à nos missions fondamentales, enseignement et recherche. Les arguments de l’équipe sortante s’appuient sur l’existence de fortes contraintes qui restreignent les marges de manœuvre. Sur un budget global dont l’ordre de grandeur est de 500 millions d’euros, on doit bien sûr enlever la masse salariale et les autres frais incontournables, qui représentent la plus grande part. Dans le budget restant, le gouvernement de l’université a choisi d’attribuer 6 millions d’euros – soit aux alentours de 1 % – aux leviers recherche (dont 5 M€ de soutien à la recherche et 1 M€ d’investissements scientifiques). Mais pour rétablir un niveau correct au fond de roulement, de même que des choix ont été faits en matière de recrutements et d’investissements immobiliers, des choix ont également été faits pour la recherche. Par exemple, il nous a été demandé de renoncer à une partie de notre budget propre pour permettre le lancement d’un appel à projet annuel, interne à l’université. De même, une politique de communication forte, visant le prestige de l’Université de Strasbourg et cherchant avant tout à lui donner une visibilité tous azimuts a été favorisée.

Des choix ont donc été faits et les décisions prises n’obéissaient pas uniquement à la contrainte budgétaire. Ces choix, dans une période difficile, se sont-ils vraiment concentrés sur les missions fondamentales de l’Université, dont nécessairement la recherche ?

Des choix en adéquations avec les besoins
des laboratoires et des enseignants et chercheurs ?

L’enseignement supérieur et la recherche (ESR) ont subi ces dernières décennies des évolutions notables de leur organisation et de leurs modes de financement. Lors des assises de la recherche, organisées au début du mandat ministériel de G. Fioraso, des constats quasi unanimes avaient été faits d’une baisse trop importante des crédits récurrents ainsi que d’une trop grande complexité des structures et des procédures. Ces constats sont restés lettre morte. Notre Université de Strasbourg a bien entendu été obligée de faire avec ce contexte et on pourrait considérer qu’elle a bien tiré son épingle du jeu. Mais à y regarder de plus près, a-t-elle su réellement aider ses enseignants-chercheurs en allégeant leur charge de travail liée à la gestion et à la recherche de moyens, tâches devenues si envahissantes ?

Du côté des crédits récurrents des laboratoires, ils ont atteint un seuil critique, en-dessous duquel il devient impossible d’assurer leur fonctionnement. En interne à l’Université, comme évoqué ci-dessus, le choix a été fait de ne pas les placer comme priorités budgétaires, au lieu de les préserver au maximum des restrictions liées à la reconstitution de finances solides. Dans les échanges avec le ministère, il a été préféré de se poser comme thuriféraires d’une politique centrée sur les programmes « investissements d’avenir », plutôt que comme défenseurs des crédits récurrents permettant le fonctionnement des laboratoires au quotidien. À aucun moment la direction de l’Université de Strasbourg n’a publiquement critiqué l’architecture nouvelle du financement de la recherche, qui aujourd’hui présente seulement 10 % du budget de fonctionnement récurrent des laboratoires Strasbourgeois.

Du côté des crédits Idex, il y a de facto ce qui peut apparaître comme une bouffée d’oxygène : 6,853 M€ par an à compter de 2017, dont 2,7 M€ pour USIAS et 4,153 destinés principalement aux appels à projets. Là encore, des choix ont été faits qui contribuent à compliquer la vie des acteurs de la recherche plutôt qu’à les aider à améliorer, et même à maintenir, le niveau scientifique de leur activité. Les structures de décision manquent de transparence et d’efficacité. La définition des appels à projets est faite par la vice-présidence qui transmet ses propositions au comité de pilotage, puis à la commission recherche, sans réelle réflexion collective. La sélection des projets commence par un classements au niveau des laboratoires, puis un appel à des rapporteurs externes, une sélection par les collégiums, puis finalement une validation par la commission recherche. Et les contraintes imposées sont fortes : concurrence stérile de chercheurs et d’équipes au sein d’un même laboratoire, critères d’admissibilité des projets trop rigides et fermés. Certains critères qui devraient servir de moyens pour faire émerger une recherche novatrice, comme l’interdisciplinarité, sont transformés en fins, empêchant chacun des acteurs de proposer librement le projet qu’il estime attractif. Un certain état d’esprit transforme aussi ce qui devrait être un bon équilibre entre recherche appliquée et fondamentale, en une quête d’entrepreneuriat  demandant une recherche « utile ». On transpose au niveau de notre université la complexité et les défauts des structures telles que l’ANR au lieu de nous laisser pleinement profiter, avec efficacité et audace, d’un outil Idex si chèrement acquis.

De nouvelles structures travaillant en parallèle :
pour une vraie politique scientifique ?

Le programme « investissement d’avenir » ainsi que d’autres orientations prises par l’équipe ayant géré l’Université de Strasbourg durant les deux derniers mandats, ont conduit à la création de nouvelles entités : Idex, Labex, fondations, USIAS, SATT, etc. Chacune dispose de sa structure de décision, souvent sous la forme d’un comité de pilotage composé de membres nommés et fonctionnant de façon totalement indépendante des conseils centraux de l’Université. Celle-ci y est représentée par son président et quelques vice-présidents. Ce choix de fonctionnement éloigne ces outils des enseignants-chercheurs, qui ne peuvent se les approprier et les voient comme des agences de financements, finalement peu différentes de celles existant au niveau national ou européen. Mais surtout cela pose la question de la définition d’une vraie politique scientifique sans verbiage, porteuse d’ambition, d’efficacité et d’audace. Le fonctionnement actuel pâtit de sa centralisation et de son opacité et passe à côté des potentialités qu’ouvriraient une réflexion et un débat collectifs sur les enjeux de notre Université et de sa recherche.

Quelles perspectives pour la recherche ?

L’obtention de plusieurs prix Nobel, récompensant des recherches pionnières réalisées lorsque n’existaient ni les ANR, les Idex ni aucun des modes de financement récents, a marqué les esprits et fait la fierté de notre université. Mais elle a aussi contribué à masquer le bilan pour le moins mitigé de la politique de recherche de l’Université de Strasbourg. Il nous faut construire et mettre en œuvre, avec nos partenaires universitaires et les organismes de recherche,  les conditions nécessaires à ce que de tels succès scientifiques soient encore obtenus dans les prochaines décennies par notre communauté.