Analyse critique et argumentée de la politique financière de l’équipe présidentielle sortante par les soutiens à Alternative 2017
Une gestion financière imprévoyante
Le pilotage financier de l’Université de Strasbourg se caractérise par deux phases opposées qui correspondent aux deux mandats d’Alain Beretz et de son équipe : alors que le premier mandat a été marqué par des dépenses inconsidérées, le second a été sous le signe d’une cure d’austérité drastique. La seconde phase qui débute en 2012 et se poursuit jusqu’à ce jour est en grande partie la conséquence de la première. Ce pilotage a été exercé sous la responsabilité politique directe de Michel Deneken qui a cumulé lors du premier mandat les fonctions de premier vice-président et de vice-président « Finances », et lors du second celles de premier vice-président et de vice-président « Formations ». Parallèlement à cette gestion financière erratique et imprévoyante, on observe une forte dégradation du patrimoine immobilier ainsi que le lancement d’opérations financières à haut risque, parfois vouées à l’échec.
La présente synthèse s’appuie sur des documents officiels (PV de CA) et sur les observations de la Cour des comptes remises à l’université en octobre 2015, suite à un contrôle conduit par la Troisième chambre et portant sur les années 2011 à 2013.
Dépense et austérité
Malgré les alertes régulières des élus d’opposition en 2010 et 2011, la présidence ne commencera à prendre conscience de la gravité de la situation financière de l’Université de Strasbourg que très tardivement, en 2012, lorsqu’elle constatera une baisse vertigineuse du fonds de roulement. Entre 2009 et 2012, le Fonds de Roulement Net Global (FRNG) sera précisément passé de 78 M€ à 34 M€ (chiffres de la Cour des comptes). Dans un courrier du 20 septembre 2012 aux directeurs de composantes, Michel Deneken constate que la situation financière est « difficile » : « Suite à la création de l’Université de Strasbourg, le 1er janvier 2009, le fonds de roulement a été établi à hauteur de 87M€. Depuis, il a diminué de 51M€ en trois exercices budgétaires, pour être arrêté à 36 M€ en fin d’année 2011. » Parmi les causes de cette fonte vertigineuse, la Direction générale des services avancera en Conseil d’administration 25M€ d’investissements sur ressources propres.
Le Rectorat demande alors à ce que soit mis fin à cette dangereuse érosion du FDR. Michel Deneken confirme dans son courrier « le gel complet des investissements immobiliers financés sur ressources propres, mesure effective depuis février 2012 ». De fait, ce gel sera prolongé jusqu’en 2015. Il annonce également une « réduction des charges d’enseignement »… Un élément parmi d’autres : la masse salariale, la recherche, la valorisation, la vie étudiante, la politique numérique, la politique documentaire et le fonctionnement des services seront aussi concernés par les mesures d’économie, peut-on lire le courrier du 1er vice-président. Autrement dit, toute l’Université entre dans une période d’austérité sévère. Ainsi que l’avait déjà annoncé Michel Deneken lors d’un Séminaire sur le « Coût de l’offre de formation » (COF) le 4 juillet 2012, il est devenu urgent de « dégraisser les maquettes » : 25 000 heures d’enseignement seront économisées en 2012 et 40 000 heures en 2013. La Cour des comptes constatera 50 gels de postes en 2014.
Début 2014, suite à une décision du seul bureau de l’Université, sans information ni consultation du CA, notre communauté universitaire découvre que les crédits de fonctionnement des composantes et des laboratoires sont amputés de 20%, mesure reconduite jusqu’à ce jour. Si le budget est aujourd’hui tout juste équilibré, c’est grâce à deux choses : les sacrifices imposés aux personnels pendant de longues années et l’obtention de l’IDEX, sans laquelle l’Université de Strasbourg serait gravement déficitaire. En octobre 2015 le rapport de la Cour de comptes résume ainsi la situation financière de l’Université :
“La situation financière reste pourtant fragile avec un fonds de roulement stabilisé à un niveau proche du ratio de 30 jours de fonctionnement, alors que le décalage des investissements et des travaux de maintenance représente un risque financier et opérationnel à terme. Une part significative du fonds de roulement est également composée de provisions, notamment au titre de passifs sociaux (10,5 M€) et de créances douteuses (3,6 M€). Sous réserve d’une analyse plus détaillée les fonds réellement disponibles ne représentent donc à l’Université de Strasbourg pas plus de 20 M€ (18 jours de fonctionnement), ce qui reste très limité au regard de la taille de l’université, de ses dépenses de fonctionnement, et de ses besoins prévisibles d’investissement. L’université ne dispose ainsi plus de marges de manoeuvre et doit renforcer les efforts structurels qui seuls lui permettront de poursuivre ses missions de façon pérenne, sans sacrifier les investissements nécessaires.”
Frais de réception, consultance et projets à haut risque
L’austérité n’aura pas existé pour tout le monde à l’Université de Strasbourg. Les primes des vice-présidents ont été augmentées pendant la première mandature de 2000 euros pour atteindre 11 459 euros. Contrairement à un engagement de campagne en 2012, le président refusera de les revoir à la baisse, suscitant en 2013 une vive indignation des élus d’opposition lors du CA du 3 juillet. Pendant ce temps le référentiel d’activité des enseignants-chercheurs était amputé de 20% !
Tout aussi indécentes sont les dépenses pour frais de réception, dont les montants ont augmenté de 11% entre 2011 et 2013 pour atteindre plus de 2M€. Dans son rapport de 2015, la Cour des comptes « s’interroge sur la fréquence et le niveau élevé des réceptions dans des restaurants haut de gamme de Strasbourg, qui ne correspondent pas à la norme de la gestion publique ». « Cette situation, poursuit la Cour des Comptes, est d’autant plus étonnante compte tenu du contexte de difficultés financières de l’université ». La Cour liste une série de restaurants étoilés au guide Michelin et de nombreux repas dépassant 100 euros par personne invitée. Faut-il préciser que 2M€ équivalent à 600 euros de frais de réception par an et par personnel titulaire, ou 27 000 euros par unité de recherche, ou encore 54 000 euros par composante ? Une diminution ne serait-ce que de 20% de ces frais de réception pharaoniques permettrait d’allouer 10 800 euros supplémentaires de crédit de fonctionnement à chaque composante de l’Université.
Parmi les dépenses inconsidérées en période d’austérité, il convient certainement de mettre toute une partie des fréquents recours à des sociétés de consultance ou à des cabinets d’audit qui ont été sollicités pour le suivi de divers projets et restructurations, qui ont parfois été tout simplement abandonnés. Par exemple 237 000 euros de mission d’étude pour un “Data Center Green” qui n’a jamais vu le jour ou encore 42 840 euros d’audits flash pour le projet Alisée. Il est vrai que le phénomène de la consultance à l’Université de Strasbourg avait commencé avec la gabegie et le désastre provoqués par le cabinet Deloitte en 2009, chargé de conseiller la structuration des services centraux. En raison de nombreux rapports non rendus ou de la qualité médiocre, voire dangereuse, de leurs préconisations, la direction de l’Université décide de ne plus suivre les conseils de ce cabinet. Il en aura coûté à l’Université la somme vertigineuse de 532 398,36 euros, selon la Chambre régionale des comptes (rapport du 10 mars 2010). Les administrateurs n’ayant pas été informés de toutes les missions d’audit et de consultance pendant les deux mandatures, il est difficile d’avancer un chiffrage précis. Mais le total doit dépasser le million d’euros.
Une place à part doit être réservée à l’échec du projet Alisée. Projet phare du schéma directeur numérique, Alisée était destiné à remplacer Apogée, le logiciel de gestion de la scolarité. En 2011 un contrat de 4,3M€ est attribué à la société américaine SunGard, laquelle intègre en 2012 le groupe Ellucian. L’Université accepte les conditions d’Ellucian qui reporte le projet, lequel doit s’étaler sur plusieurs années. Le projet prend un tel retard qu’il est décidé de l’abandonner en 2014, après que des moyens financiers et humains très importants ont été mobilisés en interne pour développer le projet. Selon la Cour des comptes « Le coût global de cette opération est évalué par l’université à 4,5 M€ TTC dont 2 M€ au titre des prestataires des marchés, 0,65 M€ pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage, 42 840 € pour les audits flash, 969 000 € pour les licences, 287 000 € pour le matériel informatique investi, 169 000 € pour le fonctionnement (aménagement de locaux dédiés) et 375 000 de ressources humaines. »
Un patrimoine immobilier très dégradé
L’Université de Strasbourg bénéficie du soutien du Plan Campus, soit 375 M€ de dotation non consomptible qui rapportent 15M€ d’intérêts annuels. Mais l’opération Campus a pris à Strasbourg un retard considérable, de 3 années au moins, en raison d’un dispositif juridique « innovant » mais très complexe. Bien plus, le schéma pluriannuel de stratégie immobilière (SPSI), qui a été présenté au conseil d’administration le 20 avril 2010, doit être revu. Alors qu’il prévoyait une réduction des surfaces (de 600 000 à 540 000 m2), l’augmentation importante du nombre d’étudiants est venue remettre en cause cet objectif.
Pendant les deux dernières mandatures les priorités se sont portées sur de grands projets à forte visibilité, mais aussi très coûteux. Les projets de construction de bâtiments neufs ont pris le pas sur l’urgence des rénovations de l’existant, des mises en sécurité et des travaux d’amélioration. Alors que le seul entretien de l’existant exigeait 15 M€ de crédits récurrents par an, l’équipe sortante n’y a consacré que 5 M€ par an en moyenne. L’analyse de la Cour des Comptes révèle que les dépenses liées à l’immobilier, qui avaient fortement augmenté entre 2009 et 2011, ont été fortement réduites dès 2012, année où l’université a commencé à connaître des difficultés financières.
Or le constat suivant de la Cour des Comptes en 2015 doit être pris très au sérieux : l’état du patrimoine immobilier comporte « une proportion importante de bâtiments nécessitant des rénovations lourdes. Selon la classification utilisée par le ministère dans l’enquête surface annuelle, 43 % des surfaces de l’université ont un caractère vétuste et nécessitent des rénovations lourdes. Le parc immobilier de l’université apparaît ainsi plus dégradé que la moyenne des universités de même type, où seulement un tiers des surfaces nécessite des rénovations lourdes. ». Les rapporteurs poursuivent ainsi : « C’est sur le plan de la sécurité que l’état des immeubles apparaît le plus préoccupant. Selon l’enquête immobilière annuelle réalisée à la demande du ministère, 56 % des surfaces SHON de l’Université de Strasbourg ont reçu un avis défavorable de la commission de sécurité. Ce taux apparaît extrêmement élevé notamment en comparaison des données nationales. Pour les universités similaires (pluridisciplinaires avec santé), il était de 17,1 % au niveau national en 2012. »
On ne peut que regretter que l’opération Campus n’ait pas trouvé jusque-là l’équilibre nécessaire entre rénovation et construction, mise en sécurité et modernisation. On doit aussi déplorer une prise en compte insuffisante des obligations de mise en accessibilité des bâtiments aux personnes en situation de handicap. Le traitement humain et financier des dossiers lourds de la décontamination du LHYGES (roches uranifères et amiantifères) et des travaux en Chimie (rénovation du bâtiment Le Bel) n’a pas été satisfaisant. Par ailleurs le choix récent d’un recours à l’emprunt auprès de la BEI et de la CDC afin d’accélérer le démarrage des chantiers ne laisse pas d’interroger sur les risques financiers qui ont été pris, à moyen et long terme. L’exposé des motifs du recours à l’emprunt, approuvé au CA du 10 mai 2016, mettait en avant l’urgence pour l’Université de Strasbourg de disposer “d’outils lui permettant d’être compétitive au niveau international”, un argument qui a laissé songeurs bien des élus d’opposition. C’est enfin la stratégie adoptée qui mérite d’être questionnée : à quoi bon privilégier des projets à forte attractivité pour des étudiants qui, s’inscrivant en nombre à l’Université de Strasbourg, devront travailler trop souvent dans des conditions de sécurité insatisfaisantes et dans des bâtiments vétustes ?