On nous demande parfois si nous aurions réellement pu mener une politique alternative si nous avions été élus. Il est vrai qu’une grande partie du budget est engagée indépendamment des décisions politiques, et que l’autonomie des universités est loin d’être parfaite lorsqu’on connaît les carcans imposés par le ministère.
Cependant, bien des décisions de la présidence relèvent plus de l’idéologie que de la bonne gestion. Et pour ces décisions, nous aurions adopté une approche plus pragmatique. La nouvelle Prime de Reconnaissance de l’Investissement Pédagogique (PRIP) en est un très bon exemple.
Selon la délibération soumise au CA du 13 mars 2018, la PRIP est conçue car “il n’existe pas encore d’équivalent [de la PEDR] dans le domaine de la pédagogie, pour valoriser l’implication particulière en faveur de la formation et de l’insertion professionnelle des étudiants. L’Université de Strasbourg souhaite donc remédier à cela en instituant une prime de reconnaissance de l’implication pédagogique (PRIP) dont fait preuve un grand nombre de personnels de l’établissement.”.
Prime individuelle vs. prime collective
L’enseignement est une activité éminemment collective. Une collaboration permanente au sein d’une équipe pédagogique soudée est indispensable, notamment pour faire évoluer les enseignements tout en gardant le cursus cohérent, pour que les notions soient enseignées sous différents éclairages disciplinaires, pour que toutes les disciplines se retrouvent autour des projets tuteurés, pour connaître les groupes ou les étudiants avant les face-à-face, etc.
En enseignement, une équipe fait plus que la somme des individus. Cela relève donc du bon sens que la PRIP soit accordée à une équipe pédagogique.
Pourtant, la proposition de la présidence considère qu’il existe toujours un leader. Cette vision, hautement idéologique, va avoir un impact sur les personnels :
- en multipliant les dossiers sur le même travail, elle va augmenter la charge des demandes et des évaluations ;
- en n’attribuant pas la prime à tous leurs membres, elle va fragiliser les équipes pédagogiques soudées ;
- en sélectionnant les dossiers les plus denses, elle va favoriser l’accaparement individuel de travaux collectifs.
Demande de prime vs. Rapport d’expérimentation pédagogique
Si les collègues impliqués dans l’enseignement sont en expérimentation permanente, rien ne les encourage à prendre le temps de formaliser ces expérimentations. Une approche pragmatique aurait conduit à utiliser cette prime pour justifier la rédaction de rapports d’expérimentation pédagogique, organisés, archivés et diffusés par l’université, afin de les partager avec toute la communauté universitaire, y compris hors de Strasbourg, favorisant ainsi la visibilité de l’établissement.
Pourtant, la proposition de la présidence, incapable de concevoir un autre système que hiérarchique, s’en tiendra au classique formulaire de demande de prime, nécessairement normé, et par nature peu propice à la diffusion des savoirs. Ces demandes seront gardées secrètes.
Evaluation des demandes de PRIP vs. discussions collectives des expérimentations pédagogiques
Dans la perspective de mettre en avant les pratiques pédagogiques innovantes, la collégialité et la visibilité de l’établissement, une approche pragmatique aurait conduit à ce que ce soit les expérimentations pédagogiques qui soient discutées et non d’abord les demandes qui soient évaluées, sans que des critères clairs n’aient été définis. Ainsi, ces évaluations auraient dû prendre place dans une grande conférence de pédagogie universitaire de l’Université de Strasbourg, durant plusieurs jours, avec des présentations d’invités et des ateliers de travail. L’IDIP a l’expérience nécessaire pour l’organiser, et l’IDEX peut aisément le financer.
Pourtant, la proposition de la présidence, en restera à des évaluations à huis-clos, par une commission ad hoc, sans communication ni des dossiers ni des expériences présentées et encore moins des critères d’appréciation.
Annonce vs. Dispositif
Une approche pragmatique conduirait donc à dimensionner la PRIP pour en faire un dispositif de développement de l’implication pédagogique, en veillant a minima à récompenser tous les collègues les plus impliqués, et pour motiver les autres à s’y impliquer. De plus, au moment de sa mise en place, il faut s’attendre à ce que “un grand nombre de personnels de l’établissement” veuillent faire reconnaître leur implication, sans doute plus que dans les prochaines années.
Pourtant, la présidence va limiter le budget de cette prime à 120k€, soit 15 lauréats par an à une prime de 4k€ par an pour 2 ans. 2 ans de travail ne sont pas suffisants pour correspondre aux critères d’attribution, ce qui rend difficile les renouvellements et décourage donc la continuité de l’implication. Cette prime s’adresse à tous les personnels, elle sera donc attribuée à moins de trois personnels pour mille par an, y compris la première année. Elle va donc faire beaucoup plus de déçus que de récompensés. Le coût de la PRIP est pourtant faible dans les presque 12M€ du budget annuel des primes et indemnisations. C’est donc par pure idéologie que la présidence va décider de garder cette prime anecdotique, et se contenter de l’effet d’annonce qu’elle produira plutôt que d’un véritable dispositif.
Conclusion
Il était tout à fait possible par une approche pragmatique de mettre en place une PRIP qui représente un véritable dispositif d’encouragement à l’implication pédagogique collective, profitant à la fois aux étudiants et aux personnels, et assurant la visibilité de l’établissement, par la diffusion des savoirs en toute transparence et collégialité.
Mais par pure idéologie, ces PRIP ne serviront qu’à récompenser les rares collègues choisis individuellement par une procédure discrétionnaire et à produire un effet d’annonce, au risque de démotiver de nombreux collègues et d’affaiblir des équipes pédagogiques soudées.