Ce récit imaginaire retrace le parcours idéal d’un texte au travers des instances de l’université. La version réelle est ici.
Suite à un décret et une circulaire, à la demande de la présidence, qui s’appuie sur une consultation de toute l’équipe de direction, une proposition de dispositif de primes d’intéressement a été rédigé par le service juridique de l’université.
Cette proposition de dispositif a été visée par la présidence, qui a vérifié qu’il correspond bien à ses attentes, et a demandé quelques modifications.
Ensuite, le projet a commencé son parcours institutionnel.
Première étape : le comité technique d’établissement (CTE).
Cette instance paritaire, donc constituée d’élus syndicaux représentant les personnels, a fait une première lecture technique de cette proposition.
En plus du document décrivant le projet de dispositif, les délibérations précédentes à propos du même dispositif ont été fournies aux élus :
- Délibération n°100-2011 du 12 avril 2011 (BIATSS) qui renvoie à un protocole d’accord du 1er juin 2010
- Délibération n°134-2013 du 25 juin 2013 (enseignants-chercheurs)
Afin de la rendre conforme avec les intérêts des personnels, les objections suivantes ont été formulées par les élus :
- la mesure comporte un risque d’inflation incontrôlable à terme, en raison de :
- l’absence de plafond budgétaire ;
- l’absence d’évaluation claire et sincère du coût de cette mesure ;
- le processus de sélection des bénéficiaires est notoirement opaque, en raison de :
- critères d’attribution flous ;
- d’un comité de sélection ad-hoc constitué exclusivement par le président ;
- d’une liste de bénéficiaires strictement confidentielle ;
- les rapports des bénéficiaires justifiant de l’importance de leurs travaux pour l’établissement ne sont dus qu’en fin de l’obtention de la prime ;
- et de l’absence de diffusion de ces rapports.
Après avoir émis ces réserves, les élus ont estimé que cette mesure ne favorisait pas les personnels qu’ils représentent, et était en opposition avec les valeurs du fonctionnariat, notamment puisqu’elle visait à s’affranchir des grilles de rémunération.
En conséquence, ce projet de dispositif n’a pas été approuvé par le CTE.
Suite aux observations des partenaires sociaux, le projet de dispositif a été substantiellement modifié par la présidence, notamment par :
- l’établissement de projections budgétaires claires et sincères ;
- la précision des critères d’attribution ;
- le remplacement de la procédure de sélection ad-hoc par la procédure d’attribution des primes nominative déjà en fonctionnement, par les conseils en formation restreinte.
Deuxième étape : la commission de la recherche (CR).
La CR a étudié et débattu la proposition sur la base du texte modifié et des discussions du CTE, qui ont été présentées en séance en au même titre que la proposition. Les améliorations du texte ont été présentées, mais surtout les observations du CTE qui n’ont pas été suivies d’effet, ce qui a intégralement été justifié par la VP Recherche :
- l’absence de plafond budgétaire n’a pas été adopté afin de conserver la possibilité de monter en charge ce dispositif s’il s’avérait efficace ;
- les rapports des bénéficiaires n’ont pas été prévus en condition préalable à la prime pour ne pas transformer le dispositif en prime traditionnelle, et conserver un caractère exceptionnel ;
- ces rapports n’ont pas été rendus publics pour qu’ils puissent contenir des éléments confidentiels.
Conformément au rôle de la CR, les discussions se sont portées sur l’impact de cette proposition sur la mission recherche de l’université. Le débat a été de très bonne tenue, tous les élus se sont exprimés et ont été écoutés grâce à la direction bienveillante de la VP recherche, qui s’est strictement tenue à son rôle d’animation du débat, sans jamais exprimer d’opinion personnelle afin d’éviter de transformer la discussion en un “pour ou contre la direction” stérile.
En sus, Paula Stephan, spécialiste de l’économie de la science, a été entendue par la CR, et a fait profiter d’une connaissance précise de l’expérience internationale de ce type de dispositif.
Il est ressorti de ce débat que :
- la nouvelle procédure, plus transparente et démocratique, limite le risque de dérive dû à l’absence de plafond budgétaire ;
- cependant, les primes sur contrat doivent êtres soumises à un seuil pour éviter que des chercheurs multiplient les petits contrats dans le seul but d’augmenter leurs revenus ;
- les bénéfices de la mesure pour la mission recherche ne sont pas évidents, puisqu’elle vise à améliorer l’attractivité de l’établissement, mais :
- les taux de sélection aux concours montrent que cette attractivité est déjà excellente ;
- mécaniquement, la hausse de certains salaires se traduit par la baisse des effectifs.
- ces bénéfices seraient grandement améliorés par la diffusion des rapports des bénéficiaires, établis à l’issue de la première année d’attribution ;
- la prime doit pouvoir être suspendue si le rapport n’indique pas de bénéfices clairs pour la communauté ;
- l’utilisation du dispositif pour attirer de potentiels nobélisables n’a pas de rapport direct avec la fonction recherche de l’université et son attractivité, mais avec son rayonnement et sa valorisation ;
- dans cet objectif, il est indispensable que la liste des bénéficiaires soient connue, pour les astreindre à un devoir d’exemplarité ;
- il est préférable que le montant de la prime attribuée à chaque bénéficiaire soit confidentielle, afin d’éviter une inflation des propositions financières des établissements concurrents ;
- le dispositif doit être évalué dans trois ans, et suspendu si des bénéfices clairs pour la communauté ne peuvent être établis, notamment vis-à-vis de la baisse conséquente des effectifs.
Suite aux remarques des élus de la CR, la proposition a de nouveau été amendée par la présidence, en suivant l’intégralité des propositions formulées.
La proposition est en conséquence largement adoptée par les élus de la CR.
Troisième étape : le conseil d’administration (CA)
Le rôle du CA est de conclure l’adoption de la proposition. Son texte lui a été transmis, ainsi que les observations du CTE et de la CR. En séance, la VP recherche a expliqué le parcours du texte, et les modifications successives.
La confiance dans le processus d’élaboration des textes, ainsi que la pleine communication entre les conseils, permettent de ne plus revenir sur ce qui a déjà été discuté. Ainsi, le CA peut pleinement jouer son rôle, qui n’est pas d’amender les textes, mais de décider si ceux-ci sont conformes avec les valeurs et les intérêts de l’établissement, des usagers, des tutelles et de la société, chacun y étant représenté.
Les débats ont également été de très bonne tenue. La VP Recherche s’est contentée de fournir tous les éléments factuels nécessaires à la prise de décision, qu’ils soient favorables ou défavorables à la mesure. Le président s’est strictement tenu à son rôle d’animation et d’arbitrage, disqualifiant simplement les arguments qui empêchent au débat d’avoir lieu (notamment “il n’y a pas le choix”, “c’est ce qu’il se fait ailleurs”, “c’est la loi”, “ça ne coûte presque rien” ou encore les comparaisons hasardeuses avec le sport-spectacle). C’était la condition indispensable pour que tous les élus s’expriment et votent librement, sans craindre de s’opposer à la présidence, et donc avec pour seul souci la bonne administration de l’établissement.
Conformément à son rôle, le CA a donc discuté :
- du rapport entre le bénéfice de mieux rémunérer quelques chercheurs, et le risque de continuer de baisser les effectifs ;
- des efforts budgétaire qui faudrait concrètement faire pour concurrencer les établissements étasuniens, et du risque de ne pas arriver à les soutenir ;
- des opportunités et risques de créer un marché du chercheur prestigieux, jusqu’ici inexistant dans notre système, et qui est une rupture sans précédent avec les valeurs traditionnelles du fonctionnariat français et ce qui fait son efficacité ;
- et enfin, avec un soin tout particulier, de l’impact d’une telle mesure sur les personnels en poste, dont le point d’indice est gelé depuis 2010 et qui se sentent de plus en plus dévalorisés.
Toutes ces discussions n’ont pas reposé sur des convictions idéologiques ou des allégeances, mais sur les conclusion du congrès extraordinaire d’orientation qui a été tenu en début de mandat. Ce dernier a permis de clairement fixer les grandes orientations stratégiques de l’établissement. Il y a notamment été fixé la position de l’établissement vis-à-vis de la LRU, dont est issu ce dispositif, et plus largement vis-à-vis de l’ouverture du marché de l’enseignement supérieur et de l’économie de la connaissance.
Ces grandes orientations stratégiques sont courageuses, notamment parce qu’elles ne se contentent pas de suivre l’air du temps mais prennent en compte toute la dimension politique et sociale d’une université comme la nôtre, sont publiquement affirmées, et montrent l’exemple dans un système universitaire en pleine mutation.
Et pour avoir du sens, ces orientations stratégiques ont été décrites en excluant volontairement tout le vocabulaire technocratique habituel, toute expression vide de sens et tout slogan politique.
Sans ces orientations ainsi décrites, rien n’aurait de sens et nous n’aurions jamais administré aussi bien notre belle université.
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