Débat : Les conséquences de Parcoursup à l’Université de Strasbourg

 

Le débat s’est tenu le 23 mai 2018, entre (de gauche à droite) :

  • Julia Miltenberger, Conseil d’administration, élue sur la liste AFGES ;
  • Julien Gossa, Conseil d’administration, élu sur la liste Alternative ;
  • Colin Jude, président de l’UNEF à Strasbourg ;
  • Benoit Tock, vice-président en charge de la formation.

La rencontre est présentée et animée par Pierre France, de Rue89 Strasbourg (au centre).

Résumé

Ce débat montre que l‘on peine à démontrer l’efficacité de la loi ORE et de Parcoursup en matière d’orientation et de réussite des étudiants. Cependant, chaque université peut maintenant décliner son offre de formation en fonction d’une stratégie propre. Dès lors, se pose la question de la conservation d’une offre adaptée au plus grand nombre ou du développement d’une offre de formation d’excellence en direction des étudiants les plus brillants. Se pose également la question de la conservation de la gratuité des études, ou du développement d’une offre de formation payante. Autour de ces questions, deux idéologies se font face.

D’un côté, les opposants critiques à la réforme soutiennent qu’il est impossible de développer une nouvelle offre de formation d’excellence sans baisser la qualité des formations générales. D’abord, parce que le détournement des meilleurs étudiants conduit mécaniquement à la baisse des performances des formations générales. Ensuite, parce qu’un budget contraint impose des arbitrages, dans lesquels les formations d’excellence apparaissent forcément comme de meilleurs investissements. Les moyens des filières générales ont d’ailleurs été déjà drastiquement réduits ces dernières années, jusqu’à menacer les conditions d’étude du plus grand nombre.

De l’autre côté, la présidence de l’Université de Strasbourg revendique le développement d’une offre de formation d’excellence adossée à des diplômes d’université payants. Elle estime que ce développement est possible sans baisser la qualité des formations générales ni menacer la gratuité des études. Elle estime d’ailleurs que les faibles performances actuelles de l’Université de Strasbourg en terme de réussite des étudiants sont dues au défaut de volonté des équipes pédagogiques, bien plus qu’au défaut de moyens.

Quelques chiffres sur l’Université de Strasbourg

Entre 2010 et 2017, l’Université de Strasbourg a connu les évolutions suivantes :

  • les effectifs enseignants titulaires ont été diminués de 1906 à 1793, soit -6% ;
  • la dotation d’heures complémentaire ont été diminués de 130 000 à 97 000, soit -25% ;
  • les effectifs étudiants ont augmenté de 42000 à 52000, soit +22% ;
  • les recettes sur droits de scolarité ont augmenté de 14M€ à 25M€, soit +88%.

Les droits de scolarités sont la source principale de recette propre de l’établissement, et celle qui augmente le plus, bien plus vite que le nombre d’étudiants.

Version longue

Fact Checking

Plusieurs points de désaccord factuels sont survenus lors du débat. Voici les principaux, avec quelques informations qui permettent de se forger sa propre idée.

Peut-on développer des filières d’excellence pour les meilleurs étudiants sans dégrader les conditions de travail des autres ?

A budget contraint, il est irréaliste d’imaginer qu’on puisse développer de nouvelles formations sans réduire le financement de celles qui existent. De plus, les financements par projet, qui dominent à l’heure actuelle, défavorisent naturellement les filières existantes. Enfin, le jeu de concurrence entre filières conduit naturellement à des arbitrages budgétaires en défaveur des filières générales [J. Gossa, “Parcoursup : les universités font leur marché”, EducPros, 25/05/2018]

En réalité, sans un dispositif spécifique, il est inévitable que cette différenciation conduise à une reproduction des inégalités constatées dans le secondaires, y compris de financement [J. Gossa, “Parcoursup : Quelle place pour le lycée d’origine dans le tri des dossiers ?”, EducPros, 7/03/2018].

Le financement de l’étude des dossiers de candidature par le ministère était-il de 2 minutes par dossiers ?

Au niveau national, c’est bien ce que montre le dossier de presse du ministère : “8M€ de budget, 3 millions de vœux à étudier à l’Université, à 50€ l’heure complémentaire chargée : ce budget finance 3 minutes de travail par dossier [cependant il] ne couvre pas seulement l’étude des dossiers de candidatures, mais aussi la mise en place des parcours personnalisés” [J. Gossa, “Parcoursup, le compte n’y est pas”, EducPros, 23/04/2018].

Au niveau local, la règle générale est de 1 heure pour l’étude de 30 dossiers, soit 2 minutes par dossier.

Le nombre de places à l’université a-t-il été augmenté ?

Les capacités d’accueil ont été fixées sur la base de 10% supplémentaires par rapport aux effectifs de l’an dernier. Donc en réalité, elles “n’ont pas de rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants. Elles relèvent d’une manœuvre particulièrement trompeuse.” [J. Gossa, “Parcoursup : Comment créer des places à l’Université (d’un coup de baguette magique) ?”, EducoPros, 08/04/2018]

Quel est le taux de réussite dans l’enseignement supérieur ?

Comme cela a été dit pendant le débat, réduire ce taux à celui de la Licence (indicateur public, 38% pour l’Université de Strasbourg) n’a aucune pertinence. Il est en effet indispensable de prendre le système d’enseignement supérieur dans son ensemble, notamment parce que la réorientation occupe dans notre système national une place exceptionnelle au niveau mondial [E. Charbonnier, “Taux de réussite à l’université : la situation en France et dans les pays de l’OCDE”, le Monde Campus, 15/02/2013]. [Note d’information, “Réussite et échec en premier cycle”, MESRI, 2013] donnera des informations plus précises.

Il faut donc en réalité regarder le système de formation supérieure dans son ensemble.

D’après l’INSEE “ce sont désormais environ six jeunes de la classe d’âge des bacheliers sur dix qui, chaque année, prennent le chemin de l’enseignement supérieur, avec à la clé un diplôme pour 80 % d’entre eux” [Eclairage, “Les jeunes”, INSEE, 2016]. Les raisons de cette réussite, exceptionnelle au rang mondial, sont exposées dans [R. Bodin et S. Orange, “L’Université n’est pas en crise”, Revue européenne des sciences sociales, 2013].

Il est donc parfaitement exact de dire que le taux de réussite dans l’enseignement supérieur est de 80%, contrairement à ce qu’affirment les promoteurs de la réforme.

Existe-t-il des “méthodes mathématiques permettant de prédire les réussites des étudiants” ?

A notre connaissance, il n’existe aucun méthode mathématique permettant de prédire la réussite des individus. Nous trouvons d’ailleurs ça heureux.

Une confusion est cependant entretenue entre les taux de réussite des groupes en fonction de leur filières d’origine, et les chances de réussite des individus provenant de ces filières. En effet, si l’on peut mesurer avec précision la réussite d’un groupe, ceci ne dit absolument rien sur les chances de réussite de chacun des individus qui le composent : on peut bien provenir d’une filière qui a 10% de chance de réussite et réussir, comme d’une filière qui en a 90% et échouer.

La réussite étudiante dépend-elle plus d’une volonté des équipes pédagogique que des moyens qui lui sont octroyés ?

Cette affirmation est sans assise objective. S’il est toujours aisé de trouver de petits exemples d’amélioration dans certains contextes très particuliers, cela n’en fait pas une information pertinente d’un point de vue du pilotage. Considérer “qu’il est toujours possible de s’améliorer” pour justifier la baisse du nombre d’enseignants titulaires (-6%) et de la dotation d’heures complémentaires (-25%), alors que le nombre d’étudiants augmente (+22%) ne relève pas de la bonne gestion. Cette approche empêche même de considérer la question principale : quels efforts est-il raisonnable de fournir en regard de nos moyens, et quels moyens seraient nécessaires pour fournir de nouveaux efforts ?

 

2 Thoughts.

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