L’Université de Strasbourg accepte pleinement le principe de la hausse différenciée des droits d’inscription pour les étudiants étrangers.

Lors du Conseil d’administration du 19/03/2019, le président de l’Université de Strasbourg a annoncé sa décision d’accepter pleinement le principe de la hausse différenciée des droits d’inscription pour les étudiants étrangers. Il revient sur la parole donnée quelques semaines plus tôt devant les conseils et personnels de l’université [ici] et devant la presse [DNA, France3, FranceBleue, Rue89Strasbourg, 20 minutes].

Dix millions d’euros sont prévus au niveau national pour financer le plan mal-nommé “Bienvenue en France”, l’université de Strasbourg recevra ainsi quelques centaines de milliers d’euros. On connaît à présent le prix de nos principes.

La position publique du président aura donc été une manœuvre destinée principalement à faciliter la mise en œuvre de cette mesure en limitant les contestations internes, au prix de la trahison de la confiance des personnels et des partenaires internationaux de notre université.

En outre, le président a refusé que le Conseil d’administration exprime à nouveau des réserves sur cette mesure. Il a ensuite estimé positive l’actuelle et rapide transformation de l’enseignement supérieur, et plus généralement de l’éducation.

Nous condamnons cette mesure opposée à nos valeurs et principes, qui nous contraint à choisir entre l’accueil d’étudiants et la gratuité de la transmission des savoirs. Nous dénonçons également le dispositif et ses auteurs qui ont conduit à nous mettre dans cette situation à des fins strictement idéologiques. .

Congrès du 29/01/2019

Le congrès (réunion des instances décisionnaires, CA, CFVU, CR et CTE) est l’instance où sont proposées et débattues, deux fois par an, les grandes orientations de l’Université.  

Conformément à la conception de la démocratie universitaire du président Deneken, le Congrès du 29 janvier dernier s’est réduit à un lieu d’information.

Son déroulement a de nouveau mis en évidence des problèmes de fonctionnement : ont été ainsi refusées par la présidence deux demandes de mise à l’ordre du jour de points proposés par des élus, ainsi qu’une demande d’accès au verbatim des précédentes réunions.

Augmentation des frais d’inscription des étudiants étrangers

Le président de l’université a pris la décision d’une position publique individuelle. Ainsi, le Congrès n’a pas pu débattre sur le fond de cette mesure et n’a pas pu voter sur cette mesure. C’est pourtant son rôle principal, puisqu’il réunit les représentants des trois grandes fonctions de l’université : Enseignement, Recherche et Administration.

Par cette manoeuvre, le président aura donc privé l’université de se prononcer sur une mesure structurante, non seulement pour notre établissement, mais pour tout l’Enseignement supérieur et la recherche. Le président a pourtant lourdement insisté sur le fait que notre université était observée de près à l’échelle nationale. La position personnelle de notre président va donc peser sur l’orientation de notre politique d’ESR.

Comme il est indiqué dans le communiqué du président et comme les discussions l’ont explicitement confirmé en Congrès, cette position peut se résumer ainsi :

  • Il n’y a strictement aucune opposition au principe de l’augmentation des frais d’inscription pas plus qu’à une augmentation différenciée pour les étudiants étrangers.
  • L’opposition se cristallise exclusivement sur l’utilisation de ces frais d’inscription, que le ministère voudrait utiliser au financement du plan “Bienvenue en France” et non pas à l’augmentation des budgets de la présidence.
  • Le report de cette hausse est utilisé comme un simple levier de négociation.

Malgré les titres raccourcis lus dans la presse, en l’état, l’Université de Strasbourg appliquera donc bien les décisions ministérielles relatives à la hausse des frais d’inscription des étudiants étrangers.

Cette prise de position publique aura surtout pour effet de rassurer les collègues concernés par ce changement radical de modèle d’enseignement supérieur et dont la mobilisation risquait de contraindre la présidence de l’université à se conformer à nos valeurs humanistes.

Cette position questionne effectivement la politique de “premier de la classe” adoptée par notre université. Le moment où cette stratégie est en opposition frontale avec ses valeurs et intérêts concrets est arrivé. L’issue de ce conflit conditionnera ce que sera notre université, et donc ce que nous serons, “nous”.

Aujourd’hui, seule une mobilisation des directeurs de composantes et d’unités de recherche, par suspension de leur responsabilité administrative, comme à Nancy, pourra infléchir cet état de fait.

Paiement des vacations

Lors du Congrès du 21 juin 2016, nous nous étions engagés à payer les vacations dans un délais de deux mois, comme nous l’impose une circulaire. Cependant, des dysfonctionnements graves continuent d’être relevés, y compris dans la presse, comme des enseignements effectués hors de toute signature de contrat de travail.

Les tentatives de résolution par les voies normales s’étant soldées par un échec, l’établissement d’un rapport de force a été nécessaire pour obtenir une réponse.

Cette réponse indique simplement qu’il s’agit d’un problème ponctuel dans une composante particulière. En l’absence de “retour négatif” dans d’autres composantes, la présidence considère qu’il n’existe en réalité pas de problème.

Point 2. Election VP VU – Marine Stoffel (Fac de médecine – IEP)

Après nous avoir présenté son programme, Marine Stoffel, élue au CA sur la liste AFGES, a été élue Vice-Présidente Vie Universitaire de notre université. Elle est ainsi la seule VP issue d’un conseil central d’élus.

Faits marquants, elle s’est engagée à mettre en place une enquête continue de mesure des conditions d’étude. Cette étude pourra mesurer notamment l’impact de la hausse des frais d’inscription sur nos étudiants.

Elle s’est également engagée à présenter un bilan en fin de son mandat. Il a été noté que seule cette vice-présidente s’était engagée à un tel bilan.

Point 3. Projet stratégique d’établissement H2030

Le principe et les thématiques d’une grande consultation ont été soumis à l’approbation du Congrès. Il s’agit de consulter le plus grand nombre d’acteurs de notre université pour définir un projet stratégique pour 2030, notamment en vue des élections universitaires de 2020.

En réalité, le projet était déjà abouti, et il n’était pas question de l’infléchir. Ainsi, on pourra regretter l’utilisation d’une plateforme privée pour 25k€, en lieu et place de 6 mois d’ingénierie locale. On regrettera surtout que différentes suggestions, venant de tout bord, n’aient été retenues.

Notamment, il a été établi qu’il était inutile d’établir un plan stratégique dès lors que notre stratégie de “premier de la classe” nous contraignait à nous soumettre aux décisions stratégiques ministérielles. Ainsi, les stratégies d’internationalisation sont caduques, dès lors que nous devons augmenter les droits d’inscription des étudiants étrangers ou que nous répondons à un appel d’offre pour construire une université européenne (voir ci-après). La proposition d’ajouter une thématique “autonomie et stratégie locale” a été rejetée.

De plus, il a été établi que pour pouvoir réellement éclairer les décision des conseils, les propositions devaient être hiérarchisées et qu’une telle hiérarchisation ne pouvait être faite que par la communauté, par vote sur les propositions issues de la consultation. Cette proposition a également été rejetée.

En l’état, cette consultation permettra donc d’élaborer le programme électoral de l’équipe dirigeante sans pour autant pouvoir servir à infléchir sa politique pour notre université.

Point 4. Université européenne

Le Congrès a dû se prononcer sur une lettre de mission conduisant à répondre à un appel à projet pour la construction d’une Université européenne. Le document qui nous a été transmis la veille ne permet pas de comprendre l’objet d’une telle université.

Doté de 5M€ pour 3 ans et pour 8 partenaires, si le projet est retenu, il permettra donc d’obtenir en moyenne 200k€ par an et partenaire.

L’initiative n’est pas sans rappeler l’Article 11 du Traité d’Aix-la-Chapelle, qui dépasse largement les questions universitaires. Au lieu de faciliter la collaboration entre universitaires européens ayant des projets d’enseignement ou de recherche communs, l’Université de Strasbourg participe donc d’une politique venue d’en haut dont le rapport avec nos missions est difficilement identifiable.

Tous les points ont été adoptés.

Un CA ordinaire dans une université extraordinaire

Ce texte décrit la façon dont j’ai vécu le CA du 18/12/2018 de l’Université de Strasbourg. Il n’est pas co-signé. Les horaires sont indicatifs. Le reste est sincère.
Edit : Une formulation a été clarifiée suit à une observation des élus AFGES.

13:35

Nous nous retrouvons à la cafet’ entre “élus d’opposition”. On prend deux ou trois décisions sur le pouce en buvant un café. Pour le reste, nous avons préparé le CA la semaine précédente, dès la réception des documents préparatoires. On est pressés mais on prend le temps. On sait que ça va être compliqué.

13:55

Nous arrivons dans le hall de la fac de droit. Ascenseur en panne. Le Conseil d’administration se tient au cinquième étage. J’arriverai essoufflé.

13:59

Dans la salle du conseil, les gens restent debout, papotent en souriant. On se salue aimablement. On signe la feuille de présence et on se trouve une place autour d’une table superbe qui en a juste assez. On sourit, mais on sait que le CA va être long et difficile, sans doute le plus dur de l’année.

14:05

Le président ouvre la séance. Plaisanteries d’usage. Il évoque les violences du centre ville. Les visages se ferment. Ses mots sont justes.

14:11

Le président nous annonce également le décès de notre ancienne DRH, emportée par la maladie. Le coup est dur pour moi. Je me rappelle de tous ces personnels que nous avons sauvés grâce à elle. Elle me manque. Elle nous manque à tous. Mais personne ne le sait. Et c’est pour ça qu’elle me manque.

14:14

Le président invite à une minute de silence. Nous nous levons. L’instant est très solennel.
La chargée de communication de l’université prend une photo et la poste sur les réseaux sociaux. Impossible de s’en étonner.

14:15

Quelques informations d’actualité. Personne ne prête vraiment attention. Ou alors fait semblant.

14:17

Le président évoque la motion du CAC sur la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers. Cette motion salue la politique du gouvernement et en même temps s’oppose à cette augmentation. Il portera cette motion à la ministre qu’il voit jeudi.
Une collègue de l’opposition lui demande s’il va aussi porter les nombreuses autres motions votées un peu partout dans l’université. Il répond que ça ne serait pas “stratégique”, que seule cette motion est vraiment de l’université. Ce sera moins fort. Ce n’est pourtant pas le moment de l’être.

14:21

Le président invite à faire remonter des points (dans un CA, les trois quarts des points à l’ordre du jour ne sont pas discutés, juste votés). Il y en a beaucoup. Ca va être long.

14:26

Nous avons reçu, le matin même, des modifications substantielles demandées par le rectorat («remplacement du terme « augmentation » par « diminution »» ou encore «-2002 M€ au lieu de -269 K€»). Un collègue propose de repousser le vote du budget le temps de pouvoir les étudier.

14:28

Il s’avère qu’il ne s’agit que d’une erreur de copier-coller. Les tableaux sont justes, mais le texte est celui de l’an dernier. Les services sont au bord du burn out. Heureusement que le rectorat l’a vu. Mais visiblement pas la commission des finances de l’université. Son rapport se base sans doute sur un texte faux. Je me tais, inutile d’en rajouter.

14:34

Je demande communication du courrier de la DGESIP (Direction Générale de l’Enseignement Supérieur et de l’Insertion Professionnelle) annonçant des mesures d’austérité budgétaire. La présidence la refuse aux administrateurs. Elle serait « truffée d’erreurs« . Ça ne serait pas rassurant si c’était vrai. En réalité, ce courrier nous invite surtout à utiliser les frais d’inscription des étrangers et la commercialisation de notre immobilier pour compenser l’austérité. Ça la fout mal : ces mesures sont soi-disant faites pour améliorer le service. Maintenant tout le monde sait que c’est faux. Ça ne changera rien.

14:38

Le président nous invite à aller à la CADA pour avoir ce courrier. Ca n’empêchera pas d’évoquer la transparence des dizaines de fois durant ce CA.

14:40 – Points d’information.

Une grande consultation « vision de l’université à 10 ans ». « Transparence », ça n’a pas tardé. On ne comprend rien. Ca n’a aucun sens. Nous n’avons de toutes façons aucune prise sur les grandes orientations politiques de l’université. On se garde d’ailleurs bien de dire à quoi cette consultation va servir, si ce n’est consulter.

14:49

Réforme des études de santé. On parle d’une « faculté de santé » intégrant toutes les composantes concernées. La présidence tient à nous rassurer : « Il n’y a pas de projet pédagogique commun« . Envie d’être cynique. Ou ironique. “Ha bah, ça va alors, s’il n’y a pas de projet pédagogique commun pour mettre en commun des composantes d’enseignement”. Personne ne note le niveau de folie. On en est là. Je me tais.

15:01 – Budget initial

Les services nous présentent plein de chiffres. On ne comprend pas grand chose, mais on s’accroche.

15:14

Les missions et les personnels sont présentées comme des charges. On comprend qu’il faudra continuer à se serrer la ceinture.

15:22

La présidence se félicite d’avoir réussi à dégager des marges de manœuvre financières (10 M€ ?). Le budget est « sain et dynamique » selon le rectorat.

15:33

On passe aux questions. Il n’y en a pas. Silence et gêne.

On passe au vote. L’oppositions s’oppose. Adopté.

15:34

Explication de vote : nous sommes contre l’austérité pour les missions et les personnels, qui vise à dégager des marges de manœuvres financières pour “autre chose”. Le président proteste pour la forme, il sait qu’on est dans le vrai. Il évoque une campagne d’emploi généreuse et agite le chiffon rouge des universités qui craquent.

15:39

Membre de la commission des emplois depuis trop longtemps, je reprend la parole. Le président me coupe sans rien dire de plus. Chaque fois que je prononce une syllabe, il me coupe. Cela dure longtemps. Je ne lâche pas. Lui non plus. Moment de gêne.

15:42

Le président se félicite que je n’arrive pas à parler. Une collègue lui explique que c’est parce qu’il n’a de cesse de me couper. Il la coupe pour lui dire que c’est faux. Silence. Gêne.

15:43

Je déroule enfin mon argumentaire : lorsqu’on regarde au niveau national, l’Université de Strasbourg est de celles qui ont supprimé le plus de postes d’enseignants titulaires. Les universités qui craquent ne font que subir ce que nous nous sommes nous-même appliqué depuis 2010.

15:46

Le président balance un chiffre au hasard “90 postes !”. C’est faux et ça n’a aucun sens, mais ça rassure. Au moins a-t-il le dernier mot.

15:47

Grosse envie de fumer. C’était l’objectif.

15:48 – Campagne d’emploi

Présentations de chiffres très clairs. On publie de nouveau des postes. Mais beaucoup trop peu. A ce rythme, il faudra 10 ans pour revenir aux effectifs enseignants de 2010. Et on est encore en dessous de l’augmentation des effectifs étudiants. Bref, en réalité, l’encadrement pédagogique baisse encore. On est avant-dernier de France en terme de réussite en Licence. On s’écroule dans les classements internationaux. Tout le monde le sait. Tout le monde s’en tape. C’est comme ça.

15:50

J’hésite quand même à parler de nos performances en baisse. Mais on va me répondre que “ce n’est pas une question de moyens, mais de volonté”. Bref, que c’est la faute des collègues. Je n’ai pas envie d’entendre ça, alors je me tais.

15:55

On fait remarquer que c’est suite à mes demandes répétées que la présentation s’est améliorée. Ca sonne comme un reproche.

15:58

…“Dialogue”… “Collégialité”… “Transparence”… “Respect des vœux et stratégies des composantes”…

16:12

On passe aux questions. Une collègue annonce que sa composante prépare une motion contre un des postes qui a été transformé par la présidence. La présidence explique que les postes sont à l’université et pas aux composantes, et qu’elle n’a pas à respecter leurs vœux et stratégies.

16:16

On apprend que le poste en question est mis pour la troisième fois au concours. Le candidat n’arrive pas à avoir sa qualification. Son nom est prononcé plusieurs fois par la présidence. Je suis heurté, ça ne se fait pas.

16:23

Le profil est si spécifique qu’il peut être illégal. Un collègue dégaine la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : les concours doivent être ouverts. Le président explique qu’il faut un “intérêt à agir” pour attaquer un concours et que l’absence d’autres candidats nous met donc à l’abri. C’est merveilleux.

16:31

Le système de recrutement français a été mis en accusation plusieurs fois par la présidence. Le CNU est particulièrement visé. J’explique pourquoi : le CNU, c’est notre communauté, tout le monde peut y être élu. On ne fait pas que y vérifier le niveau scientifique, mais aussi l’adaptation au système administratif français. On m’écoute. C’est sympa. Ça ne change rien.

16:37

Un collègue lit la déclaration de son organisation syndicale : la campagne d’emploi menace l’exercice des missions de l’université. Il votera pour.

16:41

On n’a pas parlé de la section 60. La présidence de la CNU nous a adressé un courrier faisant état d’un sous-encadrement chronique. C’est le seul retour structurel que nous avons eu grâce au suivi de carrière. Il n’est suivi d’aucun effet, seulement deux postes : une promotion locale et un départ à la retraite. Rien en somme. Je regarde la VP concernée. La discussion a déjà été assez dure. Alors je me tais et la félicite pour la qualité de la présentation. Je suis sincère. Pas sûr qu’on le croit.

16:43

Une collègue demande si cette campagne est à la hauteur des enjeux. “Quels enjeux ?”. Silence gêné. “L’augmentation du nombre d’étudiants par exemple…”. Le président estime alors que recruter des collègues est “un danger”, une “politique de fuite en avant, de planche à billets”.

16:45

On passe au vote. L’opposition s’oppose. Approuvé.

17:31 – Projet politique (un parmi tant d’autres)

On voulait des chiffres. On a du qualitatif. Il faut réclamer pour avoir du concret. Lourdement. Ce n’est pas rassurant. Quelques uns tombent. Ils sont inquiétants. Pas de plafond de dépenses prévu pour l’université. Pas d’échéances non plus. On ne parle plus de “politique de fuite en avant, de planche à billets”, mais d’une “grande aventure”.

17:45

C’est un point d’information. Le CA n’est pas consulté. Il ne le sera jamais réellement sur ce type de projet à plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous ne savons même pas combien nous en avons, mais beaucoup.

17:47 – RIFSEEP

Présentation ultra technique. La réforme est très complexe. Très lourde aussi à mettre en oeuvre : il faut trier tous les personnels BIATSS par groupes ayant des primes différentes. Les syndicats sont contre. Ils voteront pour, sauf le SNASUB et la CGT.

17:50

Je connais la présentation par cœur, et il faudra être calme pour la suite. Je descend fumer une cigarette sur le parvis de la fac. Un VP s’en va, s’arrête pour discuter. Le campus est baigné dans la nuit et la brume. Il est magnifique. Nous partageons ce plaisir. Le campus est devenu un lieu de vie. Il me raconte ses pique-niques avec sa femme sur les bancs en face, avant d’aller au ciné-club juste à côté. Mais le ciné-club va définitivement fermer, faute d’étudiants motivés. Et moi, je dois remonter.

18:04

Une collègue regrette que certains collègues ne soient pas pleinement informés. Je me rappelle 2016. J’avais proposé de leur envoyer un mail à ce sujet. Refusé, “pour ne pas encombrer les boîtes mails”. Je me tais.

18:08

J’ai beaucoup travaillé ce dossier. La délibération que je propose est raisonnable, objectivement irréfutable. Je déballe mon argumentaire. J’explique l’intention de la réforme : payer à la performance plutôt qu’à l’indiciaire. J’explique ses dangers, mais aussi ses opportunités et les conditions de ces opportunités : les différences de revenus doivent être vraiment incitatives. Malheureusement, ce n’est pas le cas : moins d’un euro net par mois entre les groupes de la catégorie C. Je propose de les classer dans le même groupe : ça ne coûterait que 3700€ par an. Tous les collègues seraient payés pareil et on s’épargnerait commissions et angoisses. J’ai fini, j’attend les réactions.

18:12

La présidence se tait. Pas un mot. Par ce mutisme, mon travail est pulvérisé. Je me sens humilié. La discussion factice laisse place au pur rapport de force. Peu importe qui a raison, seul compte qui a le pouvoir.

18:13

J’insiste péniblement, seul. Silence. Encore. Silence. Le président indique finalement que les représentants des syndicats sont de toutes façons contre ma proposition. Une proposition qui ne coûte rien et favorise les personnels. Gêne. Regards fuyants. Honte, peut-être fantasmée. C’est violent.

18:15

Je sors ma dernière carte : “Quels sont les bénéfices attendus de la réforme ?”. Silence de nouveau, moins stratégique, plus pesant. Ça dure. Les choses sont maintenant claires : il n’y a strictement aucun bénéfices avouables à cette mise en oeuvre.

18:17

Je demande à ce que ma délibération soit mise au vote. Le président estime que les élus ne peuvent pas proposer de délibération.

L’opposition s’oppose. Approuvé. Et on passe à autre chose.

18:18 – SFC

Une élue propose une délibération. Elle est accueillie avec bienveillance par le président qui l’accepte sans réserve. L’élue est sur la liste présidentielle. Ça compte. Sans doute pas une question de loyauté ou d’accord politique. Plutôt une simple question de rapport de force. Si ces voix silencieuses venaient à manquer, c’est tout ce système qui s’écroulerait.

18:24

Je décide de voter la délibération des élus de la majorité : la création d’une commission. Ca ne changera rien. Inutile d’espérer une réciproque, mais c’est la première fois qu’un élu sur cette liste prend une initiative au CA. Et ça a été dur pour eux. Violent même. Ca doit être salué.

Approuvé.

18:26 – Centre de primatologie

Je n’aime pas l’idée de commercialiser des primates. Ça n’a même pas l’air d’être vraiment rentable. Je me tais. Ce ne sont même pas les questions. Les services nous font une explication technique. Nous tenons une position politique. Incompréhension mutuelle, mais respectueuse et sympathique.

L’opposition s’oppose. Approuvé.

18:35 – Capacités d’accueil

Des composantes débordent. Les « capacités d’accueil » de l’université pour la rentrée 2019 sont constantes ou en baisse. Pour rétablir un rapport de force avec le ministère, les élus étudiants de l’AFGES souhaitent que le CA ne les adopte pas. Peut-être cela permettra d’obtenir les moyens pour les augmenter.
La présidence estime que ce rapport de force est inutile puisque c’est justement en fixant des capacités d’accueil qu’on a pu admettre tous les étudiants. Ça n’a aucun sens. Les capacités d’accueil sont faites pour limiter leur nombre.

18:39

Le VP formation avoue tout de même que certains lycéens sont restés sur le carreau. Personne ne s’en émeut. Je demanderai plus tard si la commission de suivi de la réforme s’est réuni. On me répondra que non. C’est elle qui est censée traiter de ces questions.

18:42

Un collègue soulève que cette décision n’appartient pas au CA, mais à la CFVU. Le président dit que c’est faux. Le collègue lit le texte de loi. Le président dit que dans ce cas, l’université est dans l’illégalité depuis 10 ans. Nous sommes invités à aller au tribunal administratif si ça ne nous convient pas.

18:44

J’estime que le procédé consistant à planquer dans l’ordre du jour du CA les point rejetés dans les autres conseils est indéfendable. Le président le défend quand même et assume de continuer.

L’opposition et l’AFGES s’opposent. Approuvé.

18:45 – Cotisations du cabinet de la présidence.

Ces cotisation explosent : 240k€ (+30%). 30k€ pour la CPU, 50k€ pour la LERU (+7k€), 78k€ pour l’UNF3S (+55k€). Pourquoi ? Il n’y a pas vraiment d’explications, c’est comme ça.

18:49

J’insiste. Le président finit par dire que c’est une goutte d’eau dans les 500M€ de budget de l’université. Je réplique que les 3700€ nécessaire pour le RIFSEEP sont encore plus une goutte d’eau. Il me répond que mon argument n’a aucun sens. On rigole. Il nous le reproche, feint de ne pas comprendre.

L’opposition s’oppose. Approuvé.

18:53 – Point divers

Le président nous souhaite bonne vacances. Tout le monde est pressé que ça finisse. J’ai encore des questions. Je me sens comme l’emmerdeur de service. Mais je les pose quand même.

18:54

On parle vaguement de Parcoursup, mais pas du fond. Jamais. Trop risqué. L’université risque d’être en mauvaise posture depuis qu’un sénateur et des associations de parents d’élèves l’ont mis en demeure de communiquer les méthodes de tri des candidatures. On me répond qu’on va essayer de faire comme si ces méthodes n’existaient pas.

18:56

Je demande si l’université va apporter son soutien aux lycéens maltraités deux jours auparavant. Le président dit qu’il n’a été témoin de rien. Il justifie l’utilisation de la force. Les lycéens n’ont rien à faire sur le campus. Beaucoup ne seraient pas lycéens. C’est faux. Tout le monde s’en fout.

19:03

Le monde est debout. Ca papote. Certains partent. Je vais sur le balcon. Au 5ème, la vue est superbe. Notre université est superbe. Je commence à peine à en connaître les richesses. Pourtant, on la précipite contre un mur. J’ai envie de chialer.

19:06

Un jeune élu étudiant passe par là. On discute. Il ne s’attendait pas à autre chose. Sans illusion. Même ce change, nous avons failli à le donner. Nous n’arrivons même plus à faire semblant. Seule compte le rapport de force, la brutalité. Je fais bonne figure, essaye d’en rire. C’est comme ça.

19:10

Je souhaite de bonnes vacances au président. Il ne répond pas.

19:15

Je traverse seul le campus. Emotions étranges. Une collègue me rattrape. Elle me remercie pour mes interventions. Je manque encore de chialer.

19:20  

On arrive au restau de fin d’années. Quelques élus d’opposition autour de la table. Tout le monde sourit, mais personne n’est dupe. On remarque que cela fait deux ans que nous sommes élus. Je réalise qu’il nous reste encore deux ans.

Je lâche “Putain, deux ans”. Et tout le monde se marre.

Budget N1-N2 2019

La deuxième étape de la construction du budget 2019 vient d’être franchie : après l’adoption de la lettre d’orientation budgétaire en congrès, le CA de l’université vient d’adopter le budget N1-N2, qui ventile les moyens dans les différentes fonctions de notre établissement.

Ainsi, il faut noter plusieurs évolutions significatives qui résultent de décisions politiques, et non d’évolutions budgétaires contraintes.

En ce qui concerne les heures de formation, la politique consiste à charger les personnels titulaires, avec une large augmentation des heures complémentaires, poursuivre le gel des recrutements et baisser le nombre de missions complémentaires d’enseignement pour les doctorants :

  • + heures complémentaires : +707 k€ sur 8067 k€ en 2018 (+9%) ;
  • – missions complémentaires : -127 k€ sur 1377 k€ en 2018 (-9%).

En ce qui concerne le financement des missions, la politique consiste à utiliser une partie de l’augmentation des recettes propres (+1107 k€ (+8%), dont +846 k€ (+9%) de droits d’inscription) et à baisser les dotations accessibles par appel à projet, pour pouvoir financer les projets politiques :

  • – soutien à la formation : -400 k€  sur 1000 k€ en 2018 (-40%) ;
  • – soutien à la recherche : -400 k€ sur 1000 k€ en 2018 (-40%) ;
  • + budget de fonctionnement des “entités spécifiques” (EASE, MSA) : +1150 k€ sur 0 € en 2018 (+∞%) ;
  • + soutien à la valorisation (réintégration des actifs ADUEIS-SILABE) : +300 k€ sur 75 k€ en 2018 (+400%).

En donnant la priorité aux activités commerciales au détriment de nos missions principales d’enseignement et de recherche, le budget N1N2 est bien conforme aux orientations politiques fixées proposée par la présidence dans la lettre d’orientation budgétaire adoptée par le conseil d’administration en congrès.

Création d’un Département de sûreté intérieure à l’Université de Strasbourg

La direction de l’Université de Strasbourg a élaboré un projet de réorganisation du service de sécurité incendie de l’Esplanade en un Service Logistique Extérieure et Sûreté (SLES) et a décidé de la création d’un Département de Sûreté Intérieure rattaché à la DALI.

Travailleront au sein de ce département des “agents de sûreté” ayant des missions particulièrement nouvelles pour une université. Selon le diaporama de présentation de la direction, les missions initialement prévues étaient : “Prévenir et lutter contre les risques liés à la malveillance (risques d’origine humaine), pour faire face aux actes spontanés ou réfléchis ayant objectif de nuire ou de porter atteinte, ou dans un but de profit. Exemple : actes d’incivilités, de malveillance, vols, agressions, actes terroristes, etc.

Après les protestations légitimes des partenaires sociaux comme des personnels concernés, ces exemples ont été revus : “vols, dégradations de locaux, incivilités, intrusions, mouvements visant à nuire aux personnes et/ou aux biens, etc. […] sensibilisation des personnels, rondes de surveillance, vigilance quant au respect des consignes, assistance aux personnes, gestion et consignation des situations délicates, etc.”.

Contexte et élaboration

La création de ce département de sûreté a été dans décidée en avril 2018, dans un contexte très particulier : notre université connaissait alors un mouvement de protestation contre la loi ORE. Cette création n’a donné lieu à aucune concertation ni consultation des conseils centraux de l’Université. Alors que l’engagement en avait été pris, il ne sera finalement pas présenté en Conseil d’administration. La création de nouvelles missions l’intéresse pourtant.

Les personnels concernés se retrouvent ainsi, contre leur gré, à devoir exercer un tout autre métier que le leur, pourtant indispensable à la sécurité des bâtiments et des personnels contre les incendies.

Le fait est suffisamment grave pour que, pour la première fois, les membres du CHSCT le 4 juin, puis du CTE le 28 juin, aient unanimement refusé de voter ce projet de réorganisation.

Pertinence

Quelle est la pertinence, pour une université, de développer ce type d’activité ?

La création d’une mission de sûreté n’est pas une décision anodine. L’inclusion initiale de missions de police, de renseignement et de surveillance est très inquiétante. Et l’absence totale de consultation des instances décisionnaires devrait nous interroger toutes et tous : Quelle Université de Strasbourg voulons-nous? Comment voulons-nous en décider ?

Congrès 2017/2018 : Contrat quinquennal 2018-2022

Le Congrès a réuni les élus des trois conseils centraux (CA, CR et CFVU) le 2 juillet 2018. La présidence y a présenté le Contrat quinquennal 2018-2022.

Ce contrat confirme notre analyse du contrat de site 2018-2022 et y ajoute une annexe “Indicateurs et cibles de performance de l’Université de Strasbourg”. On y trouve de nombreux indicateurs sur nos missions : taux de réussite en licence, taux d’obtention des DUT, Master et doctorat, insertion professionnelle, évaluation des formations et des enseignements… Mais aussi des indicateurs politiques : endorecrutement des enseignants-chercheurs, développement de la formation continue, développement des ressources propres hors subventions pour charges de service public, taux d’occupation des locaux, ou encore évolution des surfaces immobilières.

Ces différents indicateurs ne sont pas neutres. Loin de ne proposer qu’une mesure de nos missions, ils les transforment, sans que jamais leur choix et leur pertinence n’aient été discutés et adoptés collectivement.

Un exemple : la réussite étudiante

Nous mesurons la réussite des étudiants uniquement par le taux de diplomation, sans jamais mesurer les conditions d’études ou les exigences pédagogiques. En réalité, nous prenons ainsi le décision de baisser les seconds pour améliorer le premier.

Le taux d’encadrement est ainsi passé de 22 étudiants par enseignants titulaires en 2010 à 29 en 2017, soit 30% d’augmentation… Sans jamais être mesuré puisque cet indicateur ne fait pas partie des documents stratégiques de notre université. Il pourtant facile à calculer.

La gouvernance par les nombres

Dernier mot à Alain Supiot in « La gouvernance par les nombres », Cours au Collège de France 2012-2014, Fayard, 2015 :

La raison du pouvoir n’est plus recherchée dans une instance souveraine transcendant la société, mais dans des normes inhérentes à son bon fonctionnement. Prospère sur ces bases un nouvel idéal normatif, qui vise la réalisation efficace d’objectifs mesurables plutôt que l’obéissance à des lois justes. Mais dès lors que leur sécurité n’est pas garantie par une loi s’appliquant également à tous, les hommes n’ont plus d’autre issue que de faire allégeance à plus fort qu’eux. Radicalisant l’aspiration à un pouvoir impersonnel, qui caractérisait déjà l’affirmation du règne de la loi, la gouvernance par les nombres donne ainsi paradoxalement le jour à un monde dominé par les liens d’allégeance

Congrès 2017/2018 : Lettre d’orientation budgétaire 2019

Le Congrès a réuni les élus des trois conseils centraux (CA, CR et CFVU) le 2 juillet 2018. La présidence y a présenté la Lettre d’orientation budgétaire (LOB).

Cette année, la LOB n’a pas été présentée à la Commission des finances. Le Congrès en a pris connaissance une semaine avant la séance du 26 juin et n’a pu l’amender. Elle a donc dû être adoptée sans modification possible.

Rappel de quelques éléments de contexte

  • L’augmentation du nombre d’étudiants universitaires (hors IUT) sera, pour les quatre prochaines années, d’environ 14,1 % sur la période 2015-2025, soit près de 1,5 % par an.” (p. 9)
  • la subvention pour charges de service public [sera vraisemblablement] identique à celle constatée en 2018” (p. 2)
  • l’attribution définitive des 750 M€ de la dotation non consomptible à l’IdEx Unistra pérennise le versement des intérêts de la dotation qui s’élèvent à 16,4 M€/an pour l’IdEx et 9,1 M€/an pour les LabEx.” (p.12)
  • Il faut également rappeler que l’université dégage depuis plusieurs années des bénéfices de plusieurs millions d’euros par an.

Axes stratégiques de la LOB 2018/2019

2019 s’inscrit dans la poursuite de la politique de 2018, il a été établi sans ambiguïté en séance que les deux axes stratégiques principaux de la présidence sont les suivants :

  1. Précarisation des missions d’enseignement et de recherche
    • malgré l’augmentation des effectifs étudiants, au mieux une stabilisation des effectifs d’enseignement et des dotations d’heures ;
    • pas d’augmentation notable de la dotation de fonctionnement des composantes et unités de recherche, sauf cas très exceptionnel ;
    • et poursuite du développement des financements par appel à projet, malgré le récent audit interne qui conclut que cela fait partie des plus graves problèmes de notre établissement.
  2. Développement d’une activité commerciale sans lien avec nos missions
    • La recherche de pistes nouvelles pour accroître les sources de recettes de l’établissement doit également constituer une priorité de l’établissement, en exploitant toutes les possibilités nouvelles offertes par la loi (cf. notamment : dérogation au principe de spécialité” (p.3) ;
    • la loi de finances 2018 permet en effet d’étendre le “principe de spécialité” qui limite les activités commerciales des administrations aux activités en lien avec ses missions, pour des activités de “valorisation du patrimoine immobilier” ;
    • les gains ne sont pas évalués et ne seront pas utilisés pour nos missions fondamentale.

Faisabilité et conséquences du développement d’une activité commerciale sans lien avec nos missions

Cette activité commerciale nécessite tout d’abord un investissement conséquent, notamment en terme d’immobilier pour accueillir cette activité. Ceci impose mécaniquement de limiter autant que faire se peut l’investissement dans les missions de l’université. Il faudra ensuite arbitrer l’utilisation de ces locaux, entre notre activité fondamentale et une activité rentable. Faudra-t-il déplacer des cours pour rendre les locaux disponibles à la location ? Surcharger encore nos groupes de TD faute de surface dédiée à l’enseignement ? Équiper un bâtiment pour accueillir une galerie marchande plutôt qu’un laboratoire ?

Avons-nous réellement les compétences pour développer une activité commerciale sans lien avec l’enseignement et la recherche ? Et puisque cette perspective est adoptée, pourquoi ne pas commercialiser directement ce que nous avons de plus abondant, nos formations ?

Depuis 2010, le nombre de nos étudiants a augmenté de 22%… Mais nos recettes sur droit de scolarités ont augmenté de 88%. Plus que jamais, le travail en conseil conditionne le modèle que notre université devra adopter à l’avenir.

La durée des thèses, critère de performance de la formation doctorale ?

Lors de la séance de la Commission de la Recherche (CR) du 13 juin dernier, la vice-présidente recherche et formation doctorale a présenté le nouveau mode de répartition des contrats doctoraux d’établissement entre les écoles doctorales (ED) de l’Unistra. Un critère censé évaluer la performance de la formation doctorale a été introduit pour ventiler près de 20% du nombre des contrats. Il revient à mettre en concurrence les ED par domaine en se fondant sur un indicateur qui mesure essentiellement… la durée des thèses !

Malgré plusieurs réactions (lettre ouverte, pétition, analyse, motion) en amont de la séance, alors même que les documents ont été transmis très tardivement aux élus, la CR n’a pu s’exprimer par un vote sur cette décision. Si une concertation large devrait sans doute être menée, ce n’est sûrement pas en imposant de manière autoritaire un mode de calcul discutable qu’il faut aborder la question. La décision est grave puisqu’elle diminue les financements de la recherche pour des disciplines importantes (Droit mais aussi Mathématiques, sciences de l’information et de l’ingénieur) sans aucune évaluation de la pertinence du critère employé.

Cette décision a été traduite dans le contrat quinquennal 2018-2022, sans annonce ni discussion. L’indicateur IC 5 “Réussite en doctorat” se limite strictement à la réduction de la durée des thèses, sans considération pour leur qualité scientifique, l’insertion professionnelle, ni même le taux d’abandon. Et cette durée sera calculé sans prise en compte des temps partiels, au mépris des conditions réelles de leur réalisation. Un seul objectif : augmenter à court terme le nombre de thèses soutenues et réduire aux maximum l’utilisation des locaux, au détriment de toutes les autres considérations, notamment humaines et scientifiques.

Cet épisode est parfaitement révélateur des évolutions récentes de l’ESR en général, de l’Université de Strasbourg en particulier : une prise de décision verticale sans concertation, en particulier des acteurs concernés ; un gouvernement par les chiffres, en apparence rationnel, en réalité incohérent, dont les effets sur la communauté et nos missions ne sont jamais mesurés ; le tout guidé par l’illusion selon laquelle la mise en concurrence artificielle aboutirait à une meilleure performance du système, ce qui reste à démontrer…

Pour aller plus loin :

Débat : Les conséquences de Parcoursup à l’Université de Strasbourg

 

Le débat s’est tenu le 23 mai 2018, entre (de gauche à droite) :

  • Julia Miltenberger, Conseil d’administration, élue sur la liste AFGES ;
  • Julien Gossa, Conseil d’administration, élu sur la liste Alternative ;
  • Colin Jude, président de l’UNEF à Strasbourg ;
  • Benoit Tock, vice-président en charge de la formation.

La rencontre est présentée et animée par Pierre France, de Rue89 Strasbourg (au centre).

Résumé

Ce débat montre que l‘on peine à démontrer l’efficacité de la loi ORE et de Parcoursup en matière d’orientation et de réussite des étudiants. Cependant, chaque université peut maintenant décliner son offre de formation en fonction d’une stratégie propre. Dès lors, se pose la question de la conservation d’une offre adaptée au plus grand nombre ou du développement d’une offre de formation d’excellence en direction des étudiants les plus brillants. Se pose également la question de la conservation de la gratuité des études, ou du développement d’une offre de formation payante. Autour de ces questions, deux idéologies se font face.

D’un côté, les opposants critiques à la réforme soutiennent qu’il est impossible de développer une nouvelle offre de formation d’excellence sans baisser la qualité des formations générales. D’abord, parce que le détournement des meilleurs étudiants conduit mécaniquement à la baisse des performances des formations générales. Ensuite, parce qu’un budget contraint impose des arbitrages, dans lesquels les formations d’excellence apparaissent forcément comme de meilleurs investissements. Les moyens des filières générales ont d’ailleurs été déjà drastiquement réduits ces dernières années, jusqu’à menacer les conditions d’étude du plus grand nombre.

De l’autre côté, la présidence de l’Université de Strasbourg revendique le développement d’une offre de formation d’excellence adossée à des diplômes d’université payants. Elle estime que ce développement est possible sans baisser la qualité des formations générales ni menacer la gratuité des études. Elle estime d’ailleurs que les faibles performances actuelles de l’Université de Strasbourg en terme de réussite des étudiants sont dues au défaut de volonté des équipes pédagogiques, bien plus qu’au défaut de moyens.

Quelques chiffres sur l’Université de Strasbourg

Entre 2010 et 2017, l’Université de Strasbourg a connu les évolutions suivantes :

  • les effectifs enseignants titulaires ont été diminués de 1906 à 1793, soit -6% ;
  • la dotation d’heures complémentaire ont été diminués de 130 000 à 97 000, soit -25% ;
  • les effectifs étudiants ont augmenté de 42000 à 52000, soit +22% ;
  • les recettes sur droits de scolarité ont augmenté de 14M€ à 25M€, soit +88%.

Les droits de scolarités sont la source principale de recette propre de l’établissement, et celle qui augmente le plus, bien plus vite que le nombre d’étudiants.

Version longue

Fact Checking

Plusieurs points de désaccord factuels sont survenus lors du débat. Voici les principaux, avec quelques informations qui permettent de se forger sa propre idée.

Peut-on développer des filières d’excellence pour les meilleurs étudiants sans dégrader les conditions de travail des autres ?

A budget contraint, il est irréaliste d’imaginer qu’on puisse développer de nouvelles formations sans réduire le financement de celles qui existent. De plus, les financements par projet, qui dominent à l’heure actuelle, défavorisent naturellement les filières existantes. Enfin, le jeu de concurrence entre filières conduit naturellement à des arbitrages budgétaires en défaveur des filières générales [J. Gossa, “Parcoursup : les universités font leur marché”, EducPros, 25/05/2018]

En réalité, sans un dispositif spécifique, il est inévitable que cette différenciation conduise à une reproduction des inégalités constatées dans le secondaires, y compris de financement [J. Gossa, “Parcoursup : Quelle place pour le lycée d’origine dans le tri des dossiers ?”, EducPros, 7/03/2018].

Le financement de l’étude des dossiers de candidature par le ministère était-il de 2 minutes par dossiers ?

Au niveau national, c’est bien ce que montre le dossier de presse du ministère : “8M€ de budget, 3 millions de vœux à étudier à l’Université, à 50€ l’heure complémentaire chargée : ce budget finance 3 minutes de travail par dossier [cependant il] ne couvre pas seulement l’étude des dossiers de candidatures, mais aussi la mise en place des parcours personnalisés” [J. Gossa, “Parcoursup, le compte n’y est pas”, EducPros, 23/04/2018].

Au niveau local, la règle générale est de 1 heure pour l’étude de 30 dossiers, soit 2 minutes par dossier.

Le nombre de places à l’université a-t-il été augmenté ?

Les capacités d’accueil ont été fixées sur la base de 10% supplémentaires par rapport aux effectifs de l’an dernier. Donc en réalité, elles “n’ont pas de rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants. Elles relèvent d’une manœuvre particulièrement trompeuse.” [J. Gossa, “Parcoursup : Comment créer des places à l’Université (d’un coup de baguette magique) ?”, EducoPros, 08/04/2018]

Quel est le taux de réussite dans l’enseignement supérieur ?

Comme cela a été dit pendant le débat, réduire ce taux à celui de la Licence (indicateur public, 38% pour l’Université de Strasbourg) n’a aucune pertinence. Il est en effet indispensable de prendre le système d’enseignement supérieur dans son ensemble, notamment parce que la réorientation occupe dans notre système national une place exceptionnelle au niveau mondial [E. Charbonnier, “Taux de réussite à l’université : la situation en France et dans les pays de l’OCDE”, le Monde Campus, 15/02/2013]. [Note d’information, “Réussite et échec en premier cycle”, MESRI, 2013] donnera des informations plus précises.

Il faut donc en réalité regarder le système de formation supérieure dans son ensemble.

D’après l’INSEE “ce sont désormais environ six jeunes de la classe d’âge des bacheliers sur dix qui, chaque année, prennent le chemin de l’enseignement supérieur, avec à la clé un diplôme pour 80 % d’entre eux” [Eclairage, “Les jeunes”, INSEE, 2016]. Les raisons de cette réussite, exceptionnelle au rang mondial, sont exposées dans [R. Bodin et S. Orange, “L’Université n’est pas en crise”, Revue européenne des sciences sociales, 2013].

Il est donc parfaitement exact de dire que le taux de réussite dans l’enseignement supérieur est de 80%, contrairement à ce qu’affirment les promoteurs de la réforme.

Existe-t-il des “méthodes mathématiques permettant de prédire les réussites des étudiants” ?

A notre connaissance, il n’existe aucun méthode mathématique permettant de prédire la réussite des individus. Nous trouvons d’ailleurs ça heureux.

Une confusion est cependant entretenue entre les taux de réussite des groupes en fonction de leur filières d’origine, et les chances de réussite des individus provenant de ces filières. En effet, si l’on peut mesurer avec précision la réussite d’un groupe, ceci ne dit absolument rien sur les chances de réussite de chacun des individus qui le composent : on peut bien provenir d’une filière qui a 10% de chance de réussite et réussir, comme d’une filière qui en a 90% et échouer.

La réussite étudiante dépend-elle plus d’une volonté des équipes pédagogique que des moyens qui lui sont octroyés ?

Cette affirmation est sans assise objective. S’il est toujours aisé de trouver de petits exemples d’amélioration dans certains contextes très particuliers, cela n’en fait pas une information pertinente d’un point de vue du pilotage. Considérer “qu’il est toujours possible de s’améliorer” pour justifier la baisse du nombre d’enseignants titulaires (-6%) et de la dotation d’heures complémentaires (-25%), alors que le nombre d’étudiants augmente (+22%) ne relève pas de la bonne gestion. Cette approche empêche même de considérer la question principale : quels efforts est-il raisonnable de fournir en regard de nos moyens, et quels moyens seraient nécessaires pour fournir de nouveaux efforts ?